S'attendre à un thriller au suspense angoissant pour se retrouver devant une
comédie de mœurs
a de quoi décevoir. Pour autant, Alfred Hichcock livre un film plutôt bien ficelé autour du mensonge et de la confiance dans une intrigue qui met en scène les actrices et les larges limites de leur art appliqué au réel. Le trac n'est plus cantonné là, Stage Fright, à l'orée des planches, et vient se distiller au quotidien de cette
enquête menée comme un jeu
par un père et sa fille pour tenter d'innocenter l'élu du cœur de celle-ci.
Et puisqu'il s'agit de comédie, il faut commencer par admirer le jeu – parfait – de l'ensemble de la troupe, où toutes et tous habitent littéralement la galerie des personnages qu'ils incarnent. Honneur aux dames avec Jane Wyman, l'amoureuse en quête de vérité, souriante et courageuse, inattendue même dans l'ingéniosité qu'elle déploie pour y venir : l'actrice fait vibrer d'enthousiasme et de détermination cette jeune femme intelligente qui se révèle plus forte qu'elle-même ne l'aurait cru. Ses confrontations avec l'évanescente Marlene Dietrich valent presque à elles seules le petit plaisir de ce métrage. Cette dernière y est sublimée de douceur et de langueur par la caméra du cinéaste et se joue d'un personnage des hauteurs de la réussite voué à l'isolement au risque de briser les masques derrière lesquelles elle se protège, superbe. Face aux deux beautés,
l'ingénue qui s'affirme et la fatale suspendue à ses propres manigances,
trois comédiens s'imposent en trois caractères bien différents : Richard Todd, l'innocent à la gueule coupable, Michael Wilding, détective en gendre idéal, et Alastair Sim, père dévoué et débrouillard. Le premier donne du regard austère et méfiant, joue le retrait précautionneux mais toujours entier, le second, tout sourire, charme à tout rompre sans en avoir l'air, chemine au fil de l'intrigue prétexte, et le dernier, impressionnant de naturel, avale l'écran d'une sage espièglerie d'instincts et de soutien. Et c'est la grande réussite du scénario que d'avoir su donner à toutes et tous des enjeux quasiment égaux qui forment là l'arborescence émotive et morale qui se développe autour du tronc simpliste de la résolution d'un meurtre qui vient contredire tout ce qu'on s'était laissé jusqu'alors conter.
C'est malheureusement là aussi que le bas blesse, où le réalisateur s'amusant de
la comédie humaine joue la légèreté.
Si quelques plans continuent de démontrer la technicité savoureuse du maître, soulignant l'évanescence de la diva sur un gros plan mémorable de langueur, s'introduisant à la suite du détective à l'intérieur de la maison, isolant son coupable au cœur d'une plongée sur l'orchestre vide coincé entre la scène déserte et les travées bien rangées du théâtre, la mise en scène s'amuse par séquences mais ne semble pas tisser les toiles habituelles du suspense et de l'angoisse. À l'accompagnement des acteurs,
l'intelligence se fait dans le retrait
qui laisse l'espace à chacune et à chacun d'exprimer son talent.
Loin d'être un mauvais film, Stage Fright surprend donc par cette légèreté volontaire, ce retrait du cinéaste au profit de celles et ceux qu'il filme. Après des années de manipulations – peut-être un peu trop – visibles, laissant peu de marge aux comédiens (à quelques exceptions près), Alfred Hitchcock semble prendre plaisir à se reposer un moment sur eux. La surprise peut décevoir mais le plaisir est là, de dévorer des yeux
le talent et la beauté d'une troupe exceptionnelle,
et Marlène Dietrich s'évanouir de sa propre sensualité.