Au tableau d'honneur Hitchcockien, «Le Grand Alibi» est loin d'obtenir la médaille d'or. Rarement évoqué au cours d'échanges cinéphiliques, le film est évincé par «Vertigo» ou «fenêtre sur cour», standards trônant tout en haut des listes. Le critique adepte de la recup' pourrait à loisir décocher son stylo et mettre en avant le modernisme de l'oeuvre et ses figures féminines fragiles et fortes, conspiratrices et victimes. Le confrère masculin étant, quant à lui, relégué au pot de chambre à côté de l'armoire Normande. Signe des temps, «Le grand Alibi» est la métaphore «des nouveaux forts» s'inscrivant parfaitement dans un cadre contemporain. Le XXI ième siècle étant une époque où la parité se fait une place à coup de genoux dans les burnes et où Wonder Woman en culotte étoilée se transforme en icône féministe. Que dire alors d'une Marlene Dietrich à multi-facettes et d'une Jane Wyman jouant les détectives privés en escarpins, le tout dans une Amérique conservatrice des années 50 ? Si le film se prête si bien à la critique sur un plan social, c'est avant tout au coeur même de son genre qu'il frappe un grand coup. Le film noir, genre éminemment masculin usé jusqu'à la corde durant la décennie précédente va voir son concept purement dynamité mais tout en respectant les codes fondamentaux. Jane Wyman enfilera donc les frusques d'un loser obligée d'enquêter afin d'innocenter son love interest. Hitchcock conservera d'ailleurs la configuration du genre en faisant traverser à son héroïne, un chemin de croix semblable à celui de Alan Ladd dans «La Clef de verre» ou «Le dahlia bleu». Entendons ici, une souffrance palpable dont les Bogart et autre Hayden n'ont jamais connus du fait d'un taux hors norme de masculinité. Miracle de l'écriture, l'inversion des sexes impose une implication plus cérébrale au coeur de l'enquête. La jugeote remplace l'uppercut, l'identité se change à loisir et le charme et l'innocence deviennent des atouts imparables. La Police, «véritable plaie» dans un polar dixit le réalisateur se voit changer en cinquième roue du carrosse. Une composition toute falote assimilant le représentant des forces de l'ordre à une plante verte ou mieux à une blonde ecervelée en imper.
Du haut de son mètre 70, Hitch' a dû bien se marrer de sa perversion cinématographique qui prend à notre époque une toute autre résonance. Pas sûr en revanche que certaines de ses déclarations seraient accueillies, aujourd'hui, avec le sourire. A l'attention de l'une de ses actrices, le Maître du suspense déclara : « Sa plus belle fossette est celle sur laquelle elle est assise !» Forcément sur les réseaux sociaux, ça ferait tache.