Je suis allé voir le Grand bain malgré l’agacement procuré par un enthousiasme général douteux.
Le film correspond en partie à ce qu’on pouvait attendre, soit une comédie moins intéressée par les gags que par le portrait mélancolique d’une brochette d’hommes malmenés par la vie. D’où l’ébahissement de la critique devant ces antihéros qui traînent leur bide et leurs rides sans honte, les transformant en manifeste contre les injonctions de la virilité. Film moins drôle que tendre, où tout le monde doit se réconcilier, dans une acception très française de la comédie pour adultes.
Mais ce qui frappe immédiatement c’est que malgré cette manière bien de chez nous de faire rire, le film est pour le reste très américain. Cela se voit et s’entend dès le début avec le mouvement d’appareil vers le pavillon d’Amalric sur Everybody wants to rule the world, déjà utilisé dans la même ambiance d’ennui pavillonnaire typiquement ricain dans White Bird d’Araki. Puis une fois mis en place l’histoire et les personnages, le noeud scénaristique fait immanquablement penser à Dodgeball, comédie loufoque et absurde où des losers attachés à leur salle de sport jouaient le destin de celle-ci à un championnat de ballon aux prisonniers. On y pique d’ailleurs le personnage d’entraîneur en fauteuil roulant odieux avec son équipe – sauf que sa drôlerie ne se limitait pas comme ici à des insultes de racaille mal dégrossie. C’est d’ailleurs la grande différence entre les styles de comédie ricain et français : alors que l’un vante les freaks et le burlesque, l’autre célèbre la médiocrité touchante de ses antihéros. Avalanche de gags d’un côté, équilibre entre émotion et rire de l’autre. Mais revenons à notre propos. Le grand bain finit par être un pur feel good movie, où une seconde chance est redonnée à des losers qui retrouvent la win à force de travail et d’envie. Et c’est ainsi que s’opère une hybridation pour le moins curieuse et pas totalement réussie où l’aspect dépressif français se voit contaminé par l’optimisme wannabe américain. Ce qui aboutit à un finale parfaitement invraisemblable, notre bande de bras cassés qui était à peine capable de nager au début devenant des sirènes parfaitement gracieuses sans qu’on l’ait pu voir s’opérer cette transformation. Avec célébration de la gagne, en contradiction presque totale avec tout le début du film, la médaille remportée résolvant tout d’un coup de baguette magique, y compris la baisse de libido du narrateur (seul substrat beauf du récit), sur fond de morale « quand on veut on peut ». On parie que vu le succès du film, un remake américain va très vite se préparer.
De façon plus générale, et pour en revenir au battage autour du film, on peut être agacé par l’aspect très fabriqué d’une oeuvre dont la congruence avec l’air du temps paraît suspecte. Cela se traduit pour le meilleur dans un aspect général bien fichu, une volonté de bien faire dans les plans, un certain soin dans les répliques (Comme Canet avec Ne le dis à personne, Lellouche a voulu bien s’entourer et a ramené tout ce que compte le cinéma français de bankable toutes générations confondues) Et pour le pire, dans le manque de personnalité et d’originalité du film, où chaque acteur vient jouer exactement ce que le public attend de lui, mention spéciale à Philippe Katerine qui commence à nous fatiguer avec son numéro de grand enfant bizarre mais touchant. De même, cette mise en avant de la masculinité blessée, le moral et le sexe en berne, sans grande aspérité, sans cruauté (tout le monde est gentil et se trimballe ses traumas qui nous font pleurer sur leur sort et passer sur le reste). Tout semble un peu facile voire démago et on se pince un peu de voir l’éternel hétéro-beauf du cinéma français réaliser un film où on ridiculise blaireaux homophobes qui pensent que la natation synchronisée est un sport de tapette.
Bref, même si le film n’est pas désagréable ni sans charme, on n’est pas dupe devant l’opération séduction un peu lourde de Lellouche, dont la bonne facture masque mal l’absence de sincérité et de singularité du projet.
NB : on notera que malgré la volonté réconciliatrice et inclusive du film, l’immigré sri-lankais qui fait partie de l’équipe est le seul à ne pas avoir de back story, pur personnage prétexte, un peu comme dans le sens de la fête.