Énorme échec en salles à sa sortie, Le grand chantage a depuis été largement reconnu, au point d'être désormais un classique du film noir. Il faut dire que ses personnages principaux, incarnés par Burt Lancaster et Tony Curtis, n'ont rien de catholique. Le second est un agent publicitaire sans scrupules vivant à Broadway, et qui est chargé par le premier, éditorialiste de renom d'empêcher la liaison de sa sœur avec un guitariste, quitte à employer tous les moyens...
Broadway est filmé ici comme le centre du monde, le cœur du show business, le tout avec une incroyable cruauté. Il faut dire aussi que la lumière signée James Wong Howe donne aussi cette sensation de claustration, d'enfermement, vu qu'une grande partie de l'histoire se déroule de nuit ou dans des lieux clos. Cela donne la sensation que les personnages se débattent pour vivre, exister.
On peut parler du rôle magnifique, mais difficile de Tony Curtis, le plus beau de sa carrière avec L'étrangleur de Boston, où celui-ci joue littéralement un fouille-merde, qui la remue pour essayer que la sœur de Lancaster n'épouse pas ce guitariste. D'ailleurs, Burt Lancaster y joue un personnage très éloignée de ses précédentes compositions physiques, et donne une très forte présence à cet éditorialiste donnant la sensation que ses écrits peuvent contrôler le show business de Broadway.
Le rapport qu'il a avec sa sœur, la jeune Susan Harrison (qui ne fera que deux films, incluant celui-ci), est montrée de manière subtile et laisse fortement suggérer un désir pour elle, voire de l'inceste ; la tendresse qu'il a envers elle, et son bouillonnement visible quand on lui parle de sa liaison avec ce guitariste...
Il y a une description très intéressante de New York souterrain, avec les jazzmen qui font venir du monde à leurs soirées, des types qui viennent épancher leur soif dans des bistrots, tout un autre univers plus ou moins glauque que montre très bien Alexander Mackendrick, qui est décidément un réalisateur de talent, avec des films comme Tueur de dames ou Cyclone à la Jamaïque, bien que sa carrière fut au fond assez courte (neuf films en une vingtaine d'années).
Je ne veux pas aller plus loin dans l'histoire, mais il faut souligner à quel point Le grand chantage est une réussite majeure dans le genre du film noir, réussissant à créer une ambiance, un climat, à écrire des personnages tous plus pourris les uns des autres (sauf la jeune Susan Harrisson, montrée telle une rose surmontant un tas de fumier), et surtout deux acteurs magnifiques ; Tony Curtis et Burt Lancaster, dont ce dernier considérait que c'était un de ses films préférés.