Sidney Falco est un authentique salaud. Agent de presse cynique et amoral, il est prêt à tout pour vendre ses infos de premières mains, ses ragots et sa publicité aux chroniqueurs des journaux quotidiens. Dans une ville comme New-York, dire qu’il a du pain sur la planche tient de l’euphémisme. Et comme il a de l’ambition et de l’énergie à revendre, sans aucun respect pour le reste de l’humanité, Sidney peut aller loin.
Enfin pour cela, il faudrait qu’il obtienne le soutien de JJ, chroniqueur très influent et arrogant, qui ne cesse de rejeter Falco tout en faisant appel à ses services. Et notre agent de presse, lui, courbe l’échine, oubliant tout amour-propre. Mackendrick montre ici un duo de personnages gangrénés par l’argent, manipulateurs et jusqu’au-boutistes forcément en décalage avec ceux qui les entourent. Car si le fonctionnement entier de la presse est montré comme malsain, il y a encore des journalistes avec une intégrité, qui refusent d’entrer dans le petit jeu du compromis. En effet, les magouilles et les chantages de Sidney et JJ n’ont rien de grand, elles sont basses, inhumaines et proprement détestables. Pour eux, il n’y a pas d’amis, ou plutôt il y a de faux amis : l’un comme l’autre jouent d’hypocrisie pour arriver à leurs fins. Quand Falco arrange un coup entre un journaliste et une vendeuse d’allumette, ce n’est pas pour qu’elle récupère son job. D’ailleurs, il ne s’en cache pas, notre agent de presse considère la femme comme un objet immature et pleurnichard, au point de ne pas en prendre une au sérieux lorsqu’elle menace de se suicider…
Quant à JJ, il est terriblement possessif avec sa sœur, chargeant Falco de détruire sa liaison avec un guitariste. Ou comment tuer l’amour dans l’œuf par pur égoïsme. Ce sont ensuite deux points de vue qui s’affrontent, l’idéalisme d’un artiste contre le cynisme d’un journaliste (rappelant une scène de « Birdman »). Le réalisateur tente clairement ici de démontrer les limites du pouvoir de la presse, détraqué par les intérêts personnels de chacun. Avec ses deux authentiques personnages d’anti-héros, Mackendrick dénonce le manque d’humanité du système capitaliste, et le peu de place qu’il accorde à l’éthique et la morale. Tout cela évoque d’ailleurs fortement le récent film « Night Call », dénonçant une autre forme de journalisme, plus actuelle et plus vicieuse.
Tony Curtis et Burt Lancaster sont très convaincants. « Le Grand Chantage », rythmé par une bande-son vivante et un déroulement maîtrisé, se visionne avec grand plaisir. Et se permet une critique intelligente et virulente du monde de la presse, révoltant l’esprit du spectateur, non sans une touche d’espoir appréciable.