Le Grand jeu, résumé à son intrigue, fait peur: poncifs sentimentaux et politiques de l'époque, voire même surenchéris (histoire de double, de réapparition à la 'Vertigo'). Et pourtant, par la grâce de la mise en scène et la chirurgie des dialogues, tout poncif qu'il soit, cela est poncé et déponcé, si l'on peut dire, et greffé d'une vie impeccablement redonnée jusque dans les détails.
Toutes ces petits moments de rien dans le café avec Françoise Rosay s'adressant à des livreurs invisibles ou des clients refoulés, par exemple. Il suffit parfois de deux secondes parfaitement justes pour vous faire adhérer à un film, et Françoise Rosay semble écrire elle-même ses répliques dans le corps de la situation. Et puis il y a les colonnes de légionnaire filmées comme des pierres au soleil, dans leur silencieuse vie secrète et avec la plus parfaite empathie due à des êtres en train de travailler à renaître. Ajoutons une scène de bagarre, des scènes de rue et de cafés dignes de Renoir, de sa capacité à embrasser toute une vie grouillante et aussi détaillée qu'une fresque qui rassembleraient 10 tableaux, 10 scènettes de la vie ordinaire.
Une Marie Bell aussi émouvante en brune qu'impeccablement sèche en blonde. Là, encore, Spaak et Feyder se tirent par l'authenticité et l'émotion nette, sans sentimentalité, d'une sous-intrigue qui pourrait virer dans l'eau-de-rose. Au mieux, de la rose, nous en avons le parfum sur les joues de Marie Bell, comme celui plus noir de dame Rosay. À noter sa première apparition, cadrée de manière fantastique: Bouche cachée par un de ses paravents de café, cadre oblique, rentrant dans l'action et le dialogue comme une espionne des coeurs : "Ah tiens je ne vous avais pas vue", répond un légionnaire. Elle, elle vous a vu, aimé et transpercé, avant même de vous tirer le grand jeu...

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le 6 nov. 2018

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