Cinquième film en huit ans pour le duo Benoît Delépine / Gustave Kervern. Et, au-delà de la sélection cannoise, cette année, la confirmation d'une vraie oeuvre en construction et de deux vrais auteurs (qui n'en font qu'un).
Après la fuite absurde et surréaliste (Aaltra, Avida), et la rage (Louise-Michel, voire Mammuth), c'est paradoxalement - vu le titre - plutôt une douce défaite qui nimbe ce nouveau film. Constat d'échec, peut-être lié à l'avancée en âge des deux loustics, qui atteignent la soixantaine, de la révolte, mais volonté de conserver, au moins une certaine liberté.
A ce titre, Brigitte Fontaine a une phrase significative : "au moins, on a fait en sorte qu'ils gardent leur liberté, avec Jean-Pierre, ça été dur..."
Jean-Pierre (Albert Dupontel, très investi dans son rôle) est vendeur de matelas, Benoît (benoît poelvoorde, assez méconnaissable) - Not comme il se fait appeler et se l'est fait tatouer sur le front - est, lui, le "plus vieux punk à chien d'Europe". Leurs parents, les excellents Areski et Brigitte Fontaine, donc, tiennent une pataterie dans une zone commerciale anonyme, l'un de ces lieux qui gangrènent le paysage et signent une certaine modernité mortelle.
C'est là que débute et va se dérouler une bonne partie du film. Un anniversaire triste, autour d'un gâteau aux bougies en plastique ("à cause des consignes de sécurité"), une cacophonie inaugurale entre le discours volubile parallèle des deux fils, l'un sur les vertus d'une télé au son surround, l'autre contant ses gardes à vue, face à un père mutique. Et la mère qui lâche ensuite qu'elle a "horreur des anniversaires".
Alors que Not a pris le parti de squatter la zone commerciale, son frère pète progressivement les plombs. Mis sous pression par son chef, en instance de divorce, n'arrivant pas du tout à gérer son bébé, il se fait virer. Et se voit récupéré par Not, qui, avec philosophie lui inculque les règles de la rue, lui fait une crète sauvage et lui grave sur le fond son nouveau nom : "Dead". Les deux frères, alter égo retrouvés vont ensuite errer un peu dans le coin, comme deux vieux gamins cherchant désespérement à faire bouger une société de consommation qui les ignorent totalement - même quand Jean-Pierre avait tenté de s'immoler par le feu en plein centre commercial, où seuls les jets d'eau du système anti-incendie avaient fait réagir les clients... Entre deux rêves alcoolisés (et superbes) de concerts punk des Wampas, et une échappée presque bucolique dans la campagne angoumoisine (faisant songer à "une histoire simple" de David Lynch - avec un chariot élévateur en place de la tondeuse autotractée), Not et Dead, en vrais punks vont tenter de déclencher cette insurrection qui vient. Tentative dérisoire et forcément pathétique... Personne ne venant à leur rendez-vous, sinon leur père, porteur d'une lettre du logo de son magasin et leur apportant le moyen de se sauver. Et d'offrir une belle fin touchante et amusante au film. Arrachant des caractères logo géant, il composeront leur manifeste sur un rond-point, à l'entrée de la zone : "punks are not dead"...
Comme d'habitude, les deux réalisateurs se font adeptes du plan-séquence et des effets de montage minimaux. Donnant l'impression parfois d'avoir posé la caméra et d'attendre que quelque chose se passe. Donnant aussi ce faux-rythme, un peu languissant, au film. Même si Ce Grand soir se montre plus lié que les précédents. Il n'en reste pas moins le genre de film qui peut ennuyer sur le coup, mais dont les images resteront gravés longtemps dans la mémoire. Signe des oeuvres marquantes.
Une réussite due aussi, et comme toujours, au sens du casting du duo grolandais. Un vrai festival, encore, avec, pour accompagner Poelvoorde et Dupontel, Areski et Brigitte Fontaine, mais aussi Bouli Lanners (en agent de sécurité compatissant), Yolande Moreau ou Gérard Depardieu, pour deux caméos sympathiques, ou encore l'Abbevillois Raymond Défossé dans un petit rôle de vieux syndicaliste à l'envergure d'Orson welles...
Pas de "Grand soir" donc, mais une bonne soirée à passer avec toute cette humanité, souffrante, mais pas (encore) totalement résignée.

danielmuraz
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le 30 juin 2012

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