Je me rappelle de la première fois que j'ai vu ce film,il m'avait tant marqué par son ambiance étrange que je me souvenais toujours du speech de Poelvoorde plusieurs années plus tard.
Je l'ai récemment revu et le génie du film (volontaire ou involontaire) m'est apparu avec encore davantage de clarté et j'ai pris un main plaisir à suivre cet acteur dans le rôle de "Not": "le plus vieux punk à chien d'Europe".
Not joué avec un tel talent par Benoit Poelvoorde que c'est est quasiment flippant par moments est un punk à chien qui erre dans la ville depuis longtemps,il a un frêre qui ne lui ressemble pas du tout: conformiste,il méprise son frangin qui a fait le choix de vivre en marge de la société.
Cependant,les choses se compliquent au travail pour celui joué par André Dupontel et lorsqu'il est viré par son patron,son petit monde bien ordonné s'effondre et lui fait apparaître la fragilité du fameux contrat social qu'il vantait tant quelques temps auparavant.
En proie à un pétage de plomb complet,il sera en quelque sorte receuilli par Not qui ne lui tiendra pas rigueur de son attitude hautaine et hostile à son égard et qui l'initiera petit à petit au mode de vie punk,ce qui va donner lieu à quelques séquences formidables notamment celle ou Poelvoorde explique comment s'économiser pour survivre dans sa nouvelle vie en traînant des pieds qui est une des scènes les plus drôles du film ainsi qu'une des plus profondes et touchantes.Ce qui nous amène à un des meilleurs points du film,son aptitude à émouvoir et à provoquer le rire naturellement sans grosses ficelles comme dans l'énorme majorité des films français restants.
Cette oeuvre est une bouffée d'air frais entre deux pets de Kad Merad et autres Kev Adams.
C'est le film du vide,du nihilisme consommé dans l'absence d'espoir quasi total,tout semble bloqué et irréméDIABLEment figé dans cet état statique et déprimant post-crise,ou les gens ne se préoccupent plus que de ce qu'ils mettront dans leurs cadis.
A l'image du montage très lent et cathartique de la pellicule,on se traîne comme Not dans le décor de la ville,vivant à ses côtés une lente agonie à coups de plans fixes qui permettent à l'atmopshère si réaliste et à la fois décalée de s'installer et à Poelvoorde de démontrer toute sa force d'interpétation à l'image de cette scène d'anthologie ou Not se démène comme un dément devant la devanture d'un restaurant ou sont en train de manger une famille bien comme il faut,mal à l'aise devant cet acte si étrange,si spontané qui vient sans doute écorcher de trop la surface parfaitement lisse et chiante de leur existence rangée.
Critique d'une société capitaliste sans âme qui fait même passer la famille au second plan comme on le voit dans une séquence ou Dupontel signifie clairement à son frêre qu'il n'hésitera pas à le dénoncer à la police s'il traîne près de son lieu de travail,le film montre comment Dupontel en frêre chargé de porter la réussite de la famille était malheureux et stressé à son boulot et comment il enviait sans doute inconsciemment son frêre de son existence certes précaire mais ô combien plus libre.J'en profite pour parler ici de la performance de Dupontel qui convient parfaitement à ce film même si j'ai parfois l'impression qu'il y croit pas à fond,qu'importe ca ne fait que rendre son personnage plus crédible au final.
Les réalisateurs ont été très inspirés dans leur gestion de l'espace filmé à l'écran car tout se passe dans quelques endroits seulement,ce qui renforce le ressenti d'enfermement et de tourner en rond.
Mais ce qui m'a le plus marqué,c'est la manière dont les gens interagissent entre eux comme s'ils étaient profondément malades,malades d'une société ou la solidarité était vue comme bizarre et ou l'exception était redoutée plus que tout.Si l'on observe bien,les personnes à l'arrière plan semblent zombifiées,sans aucune étincelle de vie ou de créativité,complètement consommés par le vide spirituel,vide de valeurs,vide d'entraide de cette époque.
C'est pourquoi la scène ou Not demande une cigarette à une jeune femme qui en retour,toujours muette,lui donne tout le paquet symbolise le fait que c'est bien les gens "normaux" qui sont le plus en manque.En lui donnant plus qu'il n'a demandé,elle avoue tacitement qu'elle avait besoin de cette interaction sociale encore plus qu'il n'avait besoin de cette cigarette.Le film regorge de moments magiques de ce genre qui semblent sortir du néant à chaque fois.
Not et ensuite son frêre sont en fait des fantômes,dès lors qu'ils ne participent plus à cette société,ils sont morts au yeux du reste de la population,qui ne semble plus avoir la capacité de les voir,étant trop aspirés dans la matrice...d'ou le tatouage "dead" sur le front de Dupontel.
Fantômes qui hanteront encore ce monde qui n'est plus le leur jusqu'à un final que je considère comme l'un des plus réussi que j'ai vu puisqu'il parvient l'exploit d'être à la fois authentique et profond,d'un réalisme cynique s'envolant vers l'épique pendant un court instant pour mieux retomber dans le pathétique l'instant d'après comme la plupart des initiatives qui ont existé pour reconstruire ce système.
Pour conclure,ne vous attendez surtout pas au "Grand soir" en question,concept qui voudrait qu'un jour,les gens se révoltent contre l'ordre établi mais au contraire laissez vous plutôt entraîner dans cette hypnotique expérience du vide agonisant,ponctué par les répliques de Brigitte Lafontaine,présente dans la bande son,toujours plus tarée en épluchant ses patates et par une scène incroyable avec un Depardieu venant comme valider cet ovni dans le paysage du cinéma actuel.
Le génie de ce film,c'est qu'il est peut être une des critiques les plus honnêtes et radicales d'un Occident en proie aux pulsions de mort tout en restant une oeuvre au ton particulièrement désabusé,moqueur et finalement nihiliste lui aussi.