De toute façon ça pouvait pas être bien...
Ce qui semble caractériser le Hobbit, de ce que je ne cesse de lire, c'est un constat d'échec d'un réalisateur obsédé par l'argent et rallongeant son produit pour gagner toujours davantage de fric. Tout ne tourne pratiquement qu'autour de cette obsédante question pécuniaire et d'un film étalé sur une tartine trop longue. Il existe évidemment d'autres points négatifs jaillissant au grès de fulgurances chicaneuses pointant d'un doigt de censeur la romance inter-espèce, la descente en rafting-tonneau ou la rencontre avec le nécromancien-brumeux... On entend un peu moins, à l'occasion de ce second opus, l'histoire du déséquilibre entre le ton léger, tiré de l'univers du conte de l'ouvrage, et de l'aventure épique provenant de la première trilogie. Mais en bref, ce qui ressort brutalement de tout cela c'est une condamnation assez hautaine du travail de Jackson, le même qui faisait consensus ou pratiquement avec le Seigneur des Anneaux...
Alors pourquoi donc ce ratage, du moins dans les critiques? Je pense que la première chose essentielle c'est une réussite trop grande pour les premiers films, qui se sont dotés, au fil des années, d'une aura quasi-mystique, qu'ils n'avaient pas à leur sorti. Ils représentent aujourd'hui un point d'ancrage symbolique, une norme généralement acceptée comme étalon absolu de ce que doit être un film fantastique, et plus encore s'il s'agit d'une production traitant de l'univers de Tolkien. Le Hobbit et son nouvel opus, en ne poursuivant pas exactement l'esprit du Seigneur des Anneaux, commettent la première erreur ; ils "trahissent" ou plutôt ils transgressent la convention tacite du genre. Ils le font d'ailleurs deux fois en ayant le mauvais goût en plus de ne pas respecter à la virgule l'oeuvre du linguiste anglais qui, ne l'oublions pas, a été depuis canonisé. Ainsi, le numéro d'équilibriste de Jackson, essayant de connecter de façon la plus pertinente possible les deux oeuvres dans un tout cohérent ne peut en aucun cas satisfaire. De toute façon, s'il avait réalisé une adaptation en un film, très fidèle au livre originel il aurait de toute façon déclenchée l'ire d'une partie de la critique qui aurait, à n'en pas douter, crié à l'incohérence manifeste par rapport à ses premiers films... Il convient d'avoir à l'esprit la dissonance des deux oeuvres de Tolkien et leur absence de d'homogénéité linéaire. Adapté sans en repenser le ton, le Hobbit n'aurait été qu'un film sympathique et probablement enfantin, qu'on aurait eu beau jeu de moquer, en tout cas chez ceux qui ne sont pas sensible à la poésie, et il y en aurait eu (il y en a toujours pour traîner dans la boue Miyazaki...)
C'est avec aigreur, vous l'aurez compris, que je poursuis ce texte car pour ma part, j'ai préféré me laisser un peu porter par l'Histoire et regarder avec bienveillance les efforts impressionnants de Jackson pour donner corps à ce qui n'en avait pas. Les longueurs que certains veulent voir dans ces films, parce que raconter un petit livre en trois film c'est déplacé quand on en a fait autant pour trois gros volumes, je les trouve extrêmement pertinents, nous livrant progressivement un véritable prélude à ce qui se passera dans les films suivant. On traverse ainsi une Terre du Milieu où le mal commence à s'insinuer, face auquel peu sont ceux qui en perçoivent vraiment la portée et nombreux ceux qui préfère demeurer dans leur confort, et la cécité. Ces révélations auraient pu briser le cadre mythique des opus suivant, ce que les préquels réussissent en général avec une efficacité confondante (n'est-ce pas Pometheus?), mais Jackson a su conserver une part de mystère, tout en suggérant la profondeur du mal, comme on peut le sentir lorsque Gandalf découvre que les Nazguls ont été libérés. Le décor de leur prison n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui du chemin des morts emprunté par Aragorn, Gimli et Legolas dans le Retour du Roi. L'équilibre est là, et malgré des faiblesses dans certains domaines (que je ne vais pas rappeler, nos oreilles en ont été suffisamment abreuvées) les films ne méritent guère un tel dédain...
J'en viens maintenant à cette question sentimentale et sur la présence, inopportune apparemment, de Tauriel. Je n'ai qu'une chose à dire à ceux qui ont trouvé cela déplacé ou "nian nian" ; regardez à nouveau le Seigneur des Anneaux et les scènes, longues, de romance entre Aragorn et Arwen, ou les oeillades appuyées de Eowyn... Il y avait peut être un vent de romantisme plus profond que dans le second opus du Hobbit, mais je crois qu'au vu du peu de temps pris par ces quelques échanges dans le film il n'y a pas vraiment de quoi en faire de telles diatribes... De même, ces attaques contre l'introduction de ce personnage féminin sont assez hallucinantes après le traitement, surévalué par rapport au matériau d'origine, arrogé à Arwen dans la Communauté de l'Anneau, et qui revient peu dans les critiques tardives et laudatives à son sujet... Et le pire c'est que justement Tauriel a un rôle et une présence tout à fait convainquant, plus d'ailleurs que Legolas.
Vu qu'on en est là, autant aborder le cas de la descente de la rivière ; scène purement jouissive à la chorégraphie rythmée (et pour certains ces films trop à rallonge en manque... qu'ils se repasse la première trilogie pour voir si le rythme est aussi trépident...) qui aurait dû ravir tous les fans de l'atroce Avatar, seulement fondé sur ce genre d'astuces visuelles... Mais bon, quand c'est Camerone qui joue avec des bestioles colorées avec une poésie de comptoir on crie au génie, quand c'est Jackson et son nouveau terrain de jeu, à l'infamie, à l'outrance... C'est le syndrome qui consiste à avoir une idée négative en tête en arrivant dans le cinéma et à relever patiemment tout ce qui la justifie pendant la séance...
Mais finalement c'est assez naturel ce regard désenchanté, on préfère se prendre la tête, réfléchir des plombes à des concepts creux plutôt que de se laisser embarquer dans une Histoire dingue et fabuleuse, jouissive et visuelle, qui pourrait nous amener à nous évader le temps d'un moment de cinéma. On préfère de nos jours les productions prétentieuses et pédantes, nanties de morales grotesques, qui s'amusent à chiffonner des imaginaires, qui seuls ont fait les grandes fresques cultes. L'heure en est mes frères à un cynisme affecté qui se drape pourtant d'un conformisme de pensé assez déroutant.
Ha oui, il reste a parler gros sous... génial, j'adore... J'ai juste envie de dire que Jackson ne voulait pas du projet et que c'est un mec qui s'est amusé à réaliser ses rêves de gosse au cinéma, quitte encore une fois à faire se contracter les sphincters des spectateurs, comme avec King Kong (pourtant qu'est-ce qu'il est bon ce film...) ... Et au delà, si vous pensez que le cinéma n'est pas une affaire de fric, même derrière des projets géniaux, c'est qu'il est temps pour vous de sortir de votre léthargie...
Inutile d'en rajouter, moi j'ai adoré, je suis entré là dedans, j'en ai pris pleins les yeux, reconnu le travail d'une équipe faisant vivre un beau projet qui détonne malgré tout dans ce qu'on nous offre aujourd'hui.