My dear Frodo...
Préambule : j'ai vu le film en 24 fps donc pas d'avis sur la 3D HFR. Neuf ans. Il aura fallu neuf années entières pour que Peter Jackson nous transporte une nouvelle fois en Terre du Milieu...
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le 7 déc. 2012
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C’est un voyage inattendu qui débute en 1995, alors que Peter Jackson et Fran Walsh s’intéressent de près à l’adaptation d’un livre pour enfant : « The Hobbit » de J.R.R Tolkien. L’idée des deux compères consiste à l’adapter comme premier volet d’une trilogie, qui serait complétée par deux films reprenant la trame de « The Lord of the Rings ». Bien entendu, ça ne s’est pas produit, puisque les droits n’étaient pas disponibles. À partir de là, débute alors le développement puis la production de ce qui deviendra la trilogie « The Lord of the Rings » six ans après.
Ce voyage se poursuit dix ans plus tard, en 2005, alors que sort « King Kong », les droits de « The Hobbit » sont acquis par la MGM, qui souhaite collaborer avec la New Line et Jackson, pour renvoyer le public en Terre du Milieu. Mais cette année-là, Peter Jackson lance un procès à New Line, qui a « oublié » de lui régler des sommes importantes concernant le merchandising autour de son œuvre. L’affaire est soldée en 2007, avec à la clé un paiement onéreux par le studio, qui égratigne un peu l’image de tous les protagonistes de cette affaire. Toujours est-il que le projet d’une adaptation du Hobbit revient sur le tapis.
Entre-temps, Jackson est occupé aux États-Unis par « The Lovely Bones », mais en 2008 il est officiellement annoncée que « The Hobbit » sera bel et bien adapté, sous la forme de deux films, avec Jackson, Fran Walsh et Philippa Boyens attachés au scénario et à la production. Mais bien entendu, ça ne s’arrête pas là, puisque la même année le trust qui gère l’héritage littéraire de J.R.R Tolkien (une œuvre charité) et l’éditeur Harper/Collins attaquent en justice New Line Cinema. Encore une fois, le studio n’a pas honoré un dû (décidément), estimé à 220 millions de $. Cette somme apparaît dérisoire face aux six milliards de recettes estimés de la trilogie à travers le monde. Le litige est enterré en toute discrétion en 2009, avec les deux parties trouvant un accord gardé secret. L’adaptation peut enfin commencer.
En 2008, pourtant, le voyage du Hobbit vers le cinéma connaît une nouvelle tournure, avec le recrutement de Guillermo Del Toro, invité à l’écriture du projet il en devient même le réalisateur officiel. Un argument de taille que l’arrivé du cinéaste mexicain, alors auréolé des succès du « Labyrinthe de Pan » et de « Hellboy II », deux œuvres entremêlées dans la Fantasy, un genre dans lequel il semble prêt à s’impliquer. À cette époque, Del Toro est encore un artiste passionnant, avant ses errances des années 2010. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, et la production peut enfin commencer, quinze ans après le projet initial de Jackson et Walsh.
Mais la vie est une saloperie, vous en conviendrez, et deux ans plus tard, en 2010, Del Toro quitte brutalement le navire. Si sa collaboration avec le trio de scénariste, et en particulier avec Peter Jackson, qui avait prévu de s’occuper de la seconde équipe lors du tournage (presque une co-réalisation informelle), s’est très bien passée, ce sont les aléas des studios en charge de la distribution qui posèrent problème. Sans cesse reporté, sans cesse remanié, le projet devint des plus compliqués à gérer, et prit dans des complications économiques et politique (selon les mots de Del Toro). Il est alors annoncé que ce sera Peter Jackson (à contre-cœur) qui réalisera le film, dont la production débute en février 2011.
Jackson n’a jamais caché que la réalisation de cette nouvelle série ne faisait pas vraiment partie de ses plans. Il est ainsi légitime de se demander si l’envie derrière ce choix est motivée par une démarche personnelle ou le besoin de sauver les meubles. Au début du tournage, le scénario n’est pas terminé, il manque des passages énormes et la vision de Del Toro est revue et corrigée, pour coller au mieux à la personnalité cinématographique de Peter Jackson. Sans story-board, des décors pas prêts et une production design en retard, c’est à tâtons que Peter Jackson se lance dans la réalisation de ce film censé débuter un diptyque.
Dire que le développement de « The Hobbit » est compliqué, c’est un doux euphémisme. Sa pré-production demeure une catastrophe motivée par les besoins avides de studios (Warner Bros., MGM, New Line) voulant coûte que coûte reproduire le succès de « The Lord of the Rings » dix ans plus tôt. À titre de comparaison, ce dernier avait débuté sa production en aout 1997, pour la conclure en décembre 2000, avec une sortie au cinéma à partir du 19 décembre 2001. La production de « The Hobbit » débute en février 2011, pour se clore en juillet 2012, cinq mois avant la sortie du premier film le 14 décembre 2012. Si le budget a doublé (passant de 94 millions, pour un volet de la première trilogie, à 180 millions), l’urgence dans laquelle s’est déroulée la pré-production se ressent totalement dans un résultat final raté.
De plus, à la fin du mois de juillet 2012, une fois le tournage terminé, il est annoncé, par la voix de Peter Jackson, que ce qui devait à la base constituer deux films devient finalement une trilogie. Ce nouveau changement, décidé en catastrophe, implique des réécritures en postproduction, la réalisation de scènes supplémentaires et un appel massif aux appendices des œuvres de Tolkien pour combler les vides scénaristiques. En plus d’un scénario écrit au jour le jour, pour coller au mieux aux aléas du tournage, ce dernier revirement de situation se montre symptomatique de l’urgence d’une expérience dont Peter Jackson déclarera à postériori :
« J’ai passé la plupart du temps sur le [tournage du] Hobbit en me sentant pas à la hauteur. Même d’un point de vue du script, Fran, Phillippa et moi n’avions pas de script complet, rédigé selon notre satisfaction, donc c’était une situation de très forte pression. ».
La volonté de Peter Jackson, mais aussi de ses producteurs, vise à refaire « The Lord of the Rings », mais à partir d’un bouquin de 300 pages, à destination d’un lectorat enfantin. La première trilogie se basait sur une œuvre-fleuve de près de 1200 pages. Ça coince dès le départ, car là où il y avait du matériel à profusion, qu’il fallut réduire par des choix limitant la durée des films, cette fois les scénaristes étirent une œuvre d’aventure aux consonances enfantine, avec des enjeux bien moindres. Dès lors, le projet entier est obscurci par le spectre de la première trilogie, dans lequel ce nouveau film essaye de se fondre.
Si « The Lord of the Rings » c’est Peter Jackson qui adapte J.R.R Tolkien, alors « The Hobbit » c’est Peter Jackson qui adapte Peter Jackson, au point de se parodier à plus d’une reprise. Les décors ressemblent à la première trilogie, la musique est sensiblement la même et reprend les thèmes principaux, comme la photographie, et en somme tout apparaît fait pour nous rappeler au bon souvenir d’une autre expérience plus agréable et novatrice en son temps. Ce premier film en reste prisonnier, sauf dans ses séquences les plus malheureuses, clairement présentes pour combler des vides scénaristiques béants et un gouffre dans les enjeux du récit.
Un exemple très simple, le métrage passe son temps à mettre en danger ses protagonistes (Bilbo et les treize nains), dans des situations périlleuses, où une espèce de suspens est distillé, pour susciter la crainte. Cependant, ça ne prend jamais, car c’est simplement là pour en jeter plein la vue aux spectateurices, mais ça n’a aucun impact concret. À contrario, dans « The Lord of the Rings », lorsque le film met en scène la « mort » d’Aragorn, c’est pour montrer le désarroi que celle-là procure aux autres personnages. Faire croire à la mort d’Aragorn à un impact sur le récit, et ne sert pas d’artifice pour faire peur à l’audience. C’est là l’une des différences de taille qui rend ce Hobbit fade et sans intérêt.
Raté dans son ensemble, ne parvenant que rarement à trouver un souffle épique, « The Hobbit » s’avère embarrassant à plus d’une reprise. C’est là que l’apport de Guillermo Del Toro aurait certainement eu un impact positif. De nombreuses séquences se révèlent gênantes et rien ne paraît naturel. Le film est clairement tourné en majorité sur fond vert, qui ne rend pas honneur aux décors de la Nouvelle-Zélande. Temps de production réduit oblige, le loisir du détail apparaît comme un luxe, alors que c’est justement là que tout le potentielle de la réussite se trouve. Avec sa mise en scène peu inspirée, Peter Jackson ne parvint pas à faire décoller un récit dont le seul enjeu est de rendre son trône à un seigneur nain. Alors certes, ce trône permettrait une alliance en cas d’attaque de Sauron, mais puisque les Nains sont les grands absents de la guerre pour la Terre du Milieu, ça laisse douter de l’importance de toute l’action principale de cette nouvelle trilogie.
Peu convaincant, c’est peu de le dire, « The Hobbit » est un échec sur patte. Les tentatives d’humour sont ratées, entrant trop en contradiction avec des scènes de combats brutales et adultes, alors que le film ressemble à une espèce de Diisney du pauvre. Jamais Jackson ne parvient à trouver l’équilibre qui lui réussissait tant entre le grotesque et le génial. Ici, le grotesque l’emporte à quasiment tous les plans. Les effets spéciaux sont dégueulasses, et clairement faits à la va-vite, même le rendu de Gollum est moins bien (c’est dire). Les personnages manquent de charisme, et ceux de retour de la première trilogie ont pris dix ans dans la poire. Le Gandalf de Ian McKellen, atouts majeurs de « The Lord of the Rings », apparait fatigué, à l’instar de sa voix, beaucoup plus ridé il fait clairement plus vieux. Alors que c’est censé se passer 60 ans avant et, en tant que magicien, Gandalf ne vieillit pas. C’est là l’une des lacunes des plus visibles dans cette production.
Sans jamais parvenir à se démarquer de ses trois prédécesseurs, « The Hobbit » en reste prisonnier et tente le tout pour le tout, au sacrifice du réalisme responsable du charme des premiers films. Les péripéties se veulent spectaculaires, mais ne font que camoufler le vide béant qui se cache derrière un scénario trop faible pour passionner. Il ne propose absolument aucun enjeu de taille, brasse les thématiques sur le courage, la delphité, l’abnégation et l’altruisme, avec un désintérêt que renforce une galerie de personnage creux et sans texture.
Alors bien entendu, sur trois heures de temps, il y a tout de même quelques fulgurances. À commencer par Martin Freeman, qui campe parfaitement Bilbo au milieu de ce naufrage (ce qui s’avère excessivement frustrant), Peter Jackson parvient à réussir quasiment tous les passages où le personnage joue un rôle important. Sa rencontre avec Gollum constitue l’un des moments forts, et maîtrisés, qui détonne avec l’ensemble du métrage, surtout qu’il arrive après une scène d’action sans saveur. La relation que Bilbo entretient avec Thorín s’avère plutôt bien faite et naturelle, avec la nécessité pour le Hobbit de se montrer à la hauteur des attentes du seigneur nain. En revanche, il devient super pote avec les autres Nains de la compagnie, bien qu’on ne nous propose quasiment aucune interaction justifiant cet attachement.
La plupart des séquences d’actions sont à jeter, la majorité des dialogues aussi, il n’y a aucun charme et tout ce qui se perçoit à l’écran est la production hâtive et chaotique. C’est aussi révélateur de la fatigue cinématographique d’un cinéaste autrefois génial, qui a clairement besoin de repos. Peter Jackson n’est pas impliqué dans ce film, et ça se ressent, surtout à la lumière de ses précédents métrages. Trente ans après avoir débuté la réalisation de « Bad Taste », il semblerait qu’il ait accompli le tour de son art, et tout ce que ce « An Unexpected Journey » démontre, c’est qu’il était grand temps qu’il passe à autre chose. « The Lovely Bones » était déjà un bon révélateur du déclin de son cinéma, mais le film avait des qualités au-delà de son ensemble un peu moyen. Ici, il n’en est cure. C’est une déception, une grande déception, comme un magnifique paquet cadeau ne contenant aucun cadeau, juste une boite vide et un petit mot de désespoir.
-Stork_
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Créée
le 19 janv. 2022
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