"He's a little better than I thought he was - in every way. I've got to go back and tell him..."
Je sais pas vous, mais moi je trouve ça particulièrement jouissif de m'apprêter à regarder un film que très peu de gens ont vu (10 seulement sur SC avant moi). L'impression d'être une sorte de pionnier, une part de sadisme aussi, en prenant du plaisir à penser qu'il y a peut-être des gens qui veulent le voir depuis longtemps, et que moi, je viens de le trouver, posé bien en évidence, me tendant ses bras (de film), sur un rayon de ma médiathèque qui n'est finalement pas si mal fournie que ça, et que là je vais lancer le DVD (super édition restaurée et tout le tremblement), confortablement installé, une bière pile poil à bonne température à portée de main...
Bref. Ensuite, il y a deux cas de figure. Il y a le film rare dont on comprend assez rapidement pourquoi il est rare ('BORING'). Et il y a le film rare auquel on peut apposer justement l'étiquette de « perle rare » (OMG). Le Jardin du Diable fait partie de cette deuxième catégorie.
Ensuite, pour les (très) bons films, il y a deux cas de figure (après promis, j'arrête avec les cas de figure et ma vie passionnante). Il y a le film qui monte en puissance et le film qui, directement, instille la sensation que vous allez/je vais, au choix : connaître une tension ininterrompue/être tenu en haleine tout du long/prendre cher. Là aussi, Le Jardin du Diable fait partie de la deuxième catégorie.
En effet, dès le tout début, le ton est donné. La musique captivante d'Herrmann, quelques plans somptueux, des premiers mots qui font mouche, et ça y est, l'atmosphère s'installe. Spéciale, onirique, et cette tension qui émerge, et qui va constamment rester à la surface. Je suis doucement troublé au début. Western de 1954, je ne m'attendais pas du tout à cela. Et au final, j'ai assisté à un des films les plus atypiques du genre, sacrément précurseur qui plus est.
Si ce film n'a pas inspiré Aguirre et Malick, je suis un carnard récalcitrant. Le côté fable morale (biblique), avec personnages allégoriques, le décor naturel à couper le souffle (là aussi, décalage par rapport aux films d'époque : très peu de studio, technicolor réussi), l'atmosphère nébuleuse... Le décor lui-même, la jungle mexicaine, est pour le moins inhabituel... Autre élément atypique, le personnage féminin, complètement en marge du rôle coutumier (à signaler une scène « coup de poing » particulièrement surprenante).
AH, je vais pouvoir parler des acteurs ! Un des nombreux points forts du film ; en effet, ils sont tous parfaits dans leur rôle. Soyons galant, commençons par la susmentionnée Susan Hayward, qui campe très bien cette fougueuse femme fatale (arrêtons-nous un instant sur cette allitération) dégourdie et manipulatrice. Ensuite, honneur au plus vieux (comme lui dit Richard : « age before beauty », exquis) : Gary (Garyyyyy !! Excusez-moi), parfait de sobriété, de force tranquille, d'omniscience et de mystère... Enfin (il y en a d'autres hein, et qui sont bien aussi, mais ce sont eux les trois principaux) : Richard Widmark. Pour ma part, la plus grosse et agréable surprise. J'ai toujours aimé le bonhomme, mais plus pour son côté sympa qu'en tant qu'acteur (je l'avais déjà vu bien jouer, mais le plus souvent il était un tout petit peu neutre quand même). Et bien de ceux que j'ai vus, celui-ci est son meilleur rôle pour l'instant. Il est excellent en parieur intéressé et désabusé, mon personnage préféré je crois. Et donc tous ces personnages, en plus d'être bien joués, je les ai trouvés très intéressants (peut-être que l'un explique l'autre), bien travaillés.
Bon, ceci dit, désolé de modérer votre enthousiasme potentiel, mais je préfère préciser qu'il y a des chances, plus ou moins grandes, qu'il ne vous plaise pas autant qu'à moi. Je me garderai bien de le recommander chaudement au plus grand nombre tant il me semble possible de justifier un éventail de notes assez large, principalement du fait de ce côté moraliste, à tendance minimaliste. Moi j'ai été pris, mais le fait d'être pris par un film tient souvent à un cheveu. De quel côté basculerez-vous ?