L'adolescence ou la recherche d'une radicalité pure (islamique)

Le jeune Ahmed est en recherche d'idéal. Il n'a pas de figure partenelle, celui-ci ayant disparu précocement. Ce pré-ado en quête de sens voit dans l'islam un idéal de pureté et de sens à un monde vacillant qui le malmène (famille nombreuse, milieu social assez défavorisé).
La mosquée est donc pour lui un profond refuge, là où il retrouve goût au monde, lu à travers une grille puissamment idéologique : mais il ne s'en aperçoit pas. L'islam radical, fondamentaliste, lui permet de se sentir héroïque, pur. L'imam a donc un jeune garçon facilement manipulable, par sa fragilité d'analyse, le jeune Ahmed n'ayant pas une connaissance du Coran, l'imam lui fait dire ce qu'il veut.
Le jeune Ahmed, collégien, est pourtant entouré par une famille aimante, et une enseignante qu'il apprécie. Mais ce monde est sans doute sans saveur pour lui : le quotidien à la maison n'est pas rose : sa mère veuve et célibataire élève seule ses quatre enfants. On imagine donc la douleur du fils voyant un monde aux finances restreintes, sans modèle masculin, et ayant en plus du mal à avoir confiance en lui (longue dyslexie enfant, lunettes très tôt, et difficulté à lier des liens amicaux avec les autres ados, de par sa singularité).
Ainsi, l'islam est pour lui salvateur : il y voit un moyen de devenir quelqu'un de bien. Au yeux d'Allah, aux yeux des autres musulmans. Si seulement sa mère devenait une "vraie musulmane" -d'après ses dires- : elle serait fière de lui. Voilà ces quelques mots qui nous indique la profondeur de sa radicalité. Pour lui, ayant cru le discours de son imam -figure divine et paternelle pour sa formation religieuse- les femmes sont à tenir à distance, et même les plus proches. L'ado commence donc à juger et à mépriser sa propre mère...
Ensuite, après sa propre mère, c'est son enseignante qui incarne un islam plus libéral, qui devient une "apostate" : c'est-à-dire une musulmane ayant trahi Dieu.
Cette enseignante qui propose un cours d'arabe dans la langue actuelle est donc la cible des musulmans radicaux et fondamentalistes qui voient dans cette enseignement une dilution de la langue arabe pure : l'arabe dans les chansons est donc une sécularisation de la langue divine du Coran. J'ai trouvé ce passage particulièrement génial : les parents d'élèves discutent de la langue arabe et des différents niveaux de langue : l'arabe du Coran serait pour certains le "vrai arabe", "sacré", la "langue du Prophète" et d'Allah alors que l'arabe populaire, des chanteurs arabes seraient pas le bon arabe à enseigner car corrompu par l'art occidental ou autre...
On voit là un débat fondamental dans ce film. La langue est débattue comme est débattue entre Ahmed et son enseignante le sens de l'écriture sainte : à coup de versets du Coran ! L'un dit qu'il ne peut lire le Coran avec une femme, et cite un verset, mais son enseignante lui assure qu'on peut lire le Coran accompagné d'une femme, et lui cite un autre passage du texte du Coran.
Le sujet central du film est donc évidemment la lecture littérale du Coran contre la lecture interprétative. On voit que selon celui qui lit le texte, plusieurs applications à la vie quotidienne s'applique.


On voit donc le rôle important de l'imam : son rôle de transmetteur de religion peut vite devenir un embrigadement du grand enfant qu'est Ahmed. Ahmed devient donc son "poulain". Il le protège et lui promet la gloire, la pureté en s'appuyant sur la parole de Dieu.
La réussite de ce film est donc de dresser deux figures face à face qui se combatte pour éduquer la jeunesse : l'enseignante, profondément humaniste, et l'imam, profondément radicalisé. Une guerre d'influence a lieu en Belgique, comme en France, dans les quartiers défavorisés entre l'Education qui vise à promouvoir une vision pacifique du monde, et certains imams fondamentalistes, parfois estampillés "frères musulmans", qui veulent conquérir les jeunes en passant par l'argumentaire religieux.
Ce film le montre brillement à l'aune d'un ado un peu paumé et vite radicalisé.


La fin du film est particulièrement touchante. On voit que la première victime, comme il fallait s'y attendre, est l'ado lui-même. La chute lui permet en tout cas de retrouver en partie sa raison, du moins on peut l'interpréter de cette manière si on veut être "optimiste".
Un journaliste français spécialiste des jeunes radicalisés au terrorisme islamiste m'avait dit un jour qu'on ne pouvait pas totalement faire retrouver la "raison" à quelqu'un qui a été "radicalisé", car cette radicalité l'a tellement touché profondément qu'en revenir est comme abandonné une religion, une partie de soi, quelque chose qui nous permet de rester en vie...
Le jeune Ahmed lui, n'est qu'un ado, on peut donc espérer que cette chute ait eu un effet de retour à une réalité fondamentale : celle d'être en vie, de pouvoir mourir à tout instant, et donc de réfléchir au sens de "tuer" un autre que soi.

Mansfield
8
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le 21 mars 2021

Critique lue 153 fois

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