Lorsqu’il débute dans le monde de la finance en tant que courtier, Jordan Belfort (Leonardo DiCaprio) apprend à renoncer à ses principes. Il l’apprend tellement bien que cela lui vaut une ascension fulgurante, durant laquelle il repousse constamment les limites de la débauche. Mais à quel prix ?
Qu’est-ce qu’un homme ? Vaste questionnement qui a animé de longs siècles de philosophie, et dont on n’aura jamais fait le tour. Pourtant, si l’on devait opérer quelques menus raccourcis, on pourrait dire que ce qui caractérise l’homme, c’est qu’il est un être doué de raison qui vit en société. Capable de raisonner, l’homme est donc un être conscient et relationnel. C’est dire que le film de Martin Scorsese est dénué d’hommes. On n’y voit en effet que des pantins désincarnés, des êtres bestiaux incapables d’utiliser un instant leur cerveau.
En décidant de mettre en scène ce qui se veut sans doute une satire du monde de la finance, Scorsese s’ingénie donc à nous le décrire comme un monde totalement déshumanisé. Bon, pourquoi pas ? Seulement, il en oublie ainsi la règle la plus élémentaire du cinéma (et de tout art narratif) : pour qu’il y ait récit, il doit y avoir des personnages, c’est-à-dire des hommes ou des femmes qui ont une trajectoire pendant le film, donc une évolution. Or, ici, rien de tout cela : Scorsese ne se concentre que sur la part la plus abjecte de ce qu’on appellera par défaut l’humanité (mais qui, finalement, n’y appartient déjà plus) sans nous proposer le moindre commencement de ce qui pourrait s'apparenter à un scénario.
Il faudra donc au spectateur patient des nerfs surentraînés pour supporter l’insupportable spectacle dégoûtant auquel nous convie le réalisateur, qui, pendant trois heures, essaye de nous partager la fascination qu’il éprouve envers l’abjection qu’il filme. Car pour se complaire durant si longtemps dans le gloubi-boulga informe de scènes de débauche que nous propose ce Loup de Wall Street, il faut déjà avoir perdu son âme. Et tenter de faire croire que derrière tout cela, il y a une condamnation, un message qui irait à l’encontre des pratiques dégueulasses de ses personnages, n’est qu’un fait d’armes de plus à ajouter au crédit d’un réalisateur qui n’a jamais reculé devant l’hypocrisie la plus complète.
Malgré un casting qui tente de donner de l’intérêt à des créatures qui ne peuvent pas en avoir (seuls Jean Dujardin et Matthew McConaughey ont la présence nécessaire à rendre leur personnage un tant soit peu amusant ou intéressant... peut-être due au fait qu'ils apparaissent 5 minutes chacun), Le Loup de Wall Street n’est donc qu’une immense apologie de la dépravation morale et sexuelle de l’homme, qui ne prend des airs de sainte-nitouche moralisatrice que pour mieux glorifier ce qu’elle met en scène. Malsain, complaisant et abject, il n’y a donc rien à sauver de ce qui est sans nul doute à ce jour un des pires navets de Scorsese.