Avant même d'avoir lu la moindre critique sur ce site, je me doute que nombreux sont ceux à avoir fait ce rapprochement sur ce site.
Et c'est là le premier reproche qu'il faut adresser à un réalisateur comme Scorsese, qui nous a habitué à bien plus d'originalité et de panache.
On se retrouve effectivement devant l'ersatz d'un "Affranchis" aujourd'hui si culte qu'il n'est pas difficile d'en trouver de meilleures copies que celui ci. Et combien pourraient arguer que la démarche du réalisateur s'inscrivait dans la droite lignée d'un "rimeyke". Scorsese cherchant à renouveller un de ses plus grands films en l'adaptant à des thèmes et problématiques plus contemporaines et touchant au monde réel.
Mais malheureusement le monde réel n'a pas attendu M. Scorsese. Et sa tentative de remake (si c'en est une) est lamentablement achevée par son deuxième défaut : on ne traite pas les traders comme des gangsters, quand bien même le rapprochement est tentant.
Non, il ne s'agit pas de "vils gredins" qui se retrouvent dépassés par une situation qu'ils ne contrôlent pas.
Ce qui fonctionnait avec cette trame narrative dans les Affranchis, c'est que l'on suivait une bande de loubards se brûler les ailes en cherchant à atteindre la richesse, la plénitude matérielle, le nirvana capitaliste... En un mot une formidable critique sociale pour exprimer que la classe dominante est intouchable, car les règles pour l'atteindre sont faites par cette dernière.
Or, les Loups de Wall Street part sur une critique similaire, mais tente de surfer sur la vague de la haine anti-traders consécutive à la crise de 2008. Et c'est là que ce film me semble malhonnête : ce n'est pas le spectateur qui se moque de Jordan Belfort et de sa clique, mais bien Scorsese qui se moque du spectateur.
Le trader qui parvient à faire s'effondrer une monnaie, un pays, un peuple, n'est pas un néophyte qui cherche fortune avec la complicité amusante de sa "bande". C'est un réseau, une caste dotée d'un formidable sens de la reproduction sociale passant par la sélection aux écoles les plus prestigieuses et son maillage de connaissances et de "tuyaux". Les traders sont d'ailleurs généralement les dindons de la farce, au vu de la profondeur de ces corruptions qui sont celles des systèmes humains durablement installés.
Mais plutôt que de nous montrer l'aveuglement d'un système comme le fait "The Big Short" ou encore la perfidie de la cooptation comme le montre "Le Capital" ou encore l'indifférence de ce réseau vis à vis du reste du monde à la manière de "Ma Part du Gateau", le "Loup de Wall Street" se contente de singer vulgairement une bande de malfrats philistins et gauches se droguer, forniquer, et s'enivrer potachement des fruits de leur "labeur".
Tous les films ne sont pas sensés "renseigner" le spectateur sur le monde qui l'entoure. Mais dans ce cas, Scorsese aurait pu se contenter de faire un film sur une star du rock, ou sur un ancien trader. Non, la poule aux œufs d'or thématique, c'est bien le trader riche et idiot qui se fait prendre la main dans le sac, tarte à la crème venant souligner toute la maladresse et l'ignorance du réalisateur quant à ce sujet.
Ainsi, et pour clarifier cette dernière note :
1. Trader n'est pas un métier facile, quand bien même ça peut être très TRÈS bien payé.
2. Presque aucun trader n'a été mis en prison suite à la crise de 2008.
3. La vie d'une personne "riche" n'est pas nécessairement extravagante et décadente.
C'est la le dernier point qui m'a révulsé au point de transformer mon indifférence en profond ressenti : Scorsese ne cherche pas plus à nous dégoûter qu'à nous faire rêver de ce mode de vie. Les belles femmes, les voitures, les yachts et les manteaux de billets ne sont jamais mis en perspective par rapport au prix auquel ils ont été payés ! Je m'explique : dans les Affranchis, on suit les personnages trahir et tuer au même rythme qu'ils s'enrichissent. Au fur et à mesure que le héros s'enrichit, on parvient à sentir sa détresse morale face aux actes délictueux qu'il a commis, expliquant par la même son mode de vie décadent et extravagant. Or, dans ce film, pas une minute n'est accordée à la famille ruinée par un crédit truqué, pas une petite entreprise n'est liquidée suite à des rachats de dettes toxiques. Non, dans le Loup de Wall street, l'argent reste "propre".
En somme, et c'est là la seule intention que je peux prêter à un pauvre Scorsese en panne d'inspiration, il s'agit d'un film de gangster de Wall Street qui font la fête à en faire rêver les pauvres spectateurs, comme Gala aspire à faire rêver la ménagère. Comme si nous étions nous mêmes devenus les Affranchis, surpris à rêver d'un monde hors d'atteinte, tant symboliquement que politiquement.