Il y a quelque chose d’assez jubilatoire dans Le loup de Wall Street. Si le ton de la comédie grasse revient assez souvent (pas forcément pour le meilleur), la success story de Jordan Belfort est animée d’une énergie à l’image de son protagoniste principal. On se retrouve dans un rythme proche de celui d’un Casino, ce genre de rythme qui vous bouffe 3 heures de votre temps sans que vous ne l’ayez senti passé. Le dynamisme de la narration et l’évolution constante de l’histoire en font un film fleuve, et c’est probablement ce qui a entraîné le vent de bienveillance qui l'accompagne (quelques tops de fin d’année se sont vite emparés de ce pain béni en lui laissant des places de choix). Le trash sexuel provoc, le mauvais goût démesuré, le portrait vitriolé du rêve américain… Avouez qu’il y a de quoi tourner la tête ! Et le loup de wall street veut nous la faire tourner. Cernant beaucoup d’enjeux, parvenant à condenser les détails techniques en des explications brutes (la bourse, c’est du vent, on récupère l’argent des clients, on le gonfle sur le papier, mais le véritable fric sort dans nos commissions pour payer notre train de vie), Le Loup de Wall Street adopte le visage d’une fresque grandiose. Et il n’a pas tort sur beaucoup de points. Notamment sur l’incompétence des masses et leur fascination pour le « rêve américain » (la conclusion virtuose montre avec justesse un des moteurs de la bourse). En fait, il serait assez amusant de comparer le Loup de Wall Street et 99 francs, l’un étant centré sur un sujet américain par excellence. Ces deux films sont des œuvres explorant totalement un univers, sous l’angle d’un cynisme abyssal. Le second point commun est d’ailleurs Jean Dujardin, qui vient cachetonner chez Scorcese dans le rôle d’un banquier suisse véreux comme une pomme à cidre, dont les interventions se révèleront toutes jubilatoires (les insultes que Di Caprio et Dujardin s’échangent sont merveilleuses). Et au cours de plusieurs séquences, Scorcese retrouve la virtuosité dont il était capable, pour le meilleur. Je pense à la séquence où tout part en casserole, avec Di Caprio tentant de rentrer chez lui sous stupéfiants pendant que son associé balance tout par téléphone. Le genre de scène d’une noirceur abyssale, un véritable moment de cinéma. Pour cette pêche constante et ces moments de génie, Le loup de wall street est un film à voir.

Toutefois, inutile de s’attendre à de grandes révélations. Le discours sur la bourse est connu d’avance (à son époque, Wall Street d’Oliver Stone était bien plus audacieux, et à la notre, Margin Call est une interprétation extrêmement fidèle à la logique bancaire et à la véritable crise ayant eu lieu), et si quelques ficelles techniques sont dévoilées ça et là, l’essentiel du film se focalisera plus sur la débauche constante de nos principaux personnages, quitte à prendre parfois des allures d’American Pie (je pense aux « nains »). Des situations pas toujours inspirées qui jouent le gag un peu relou ou what the fuck (le vice président de Jordan, quand il avale un poisson rouge ou se masturbe devant les femmes sexy), avec la défonce pour prétexte, où on ne se sentirait pas loin d’un very bad trip… Si le film se jette à fond dans le cynisme pour son portrait de Wall Street, il délaisse aussi beaucoup de détails techniques primordiaux (on zappe les mathématiciens si chers à la Bourse pour leurs calculs servant de base aux spéculations et aux prédictions pour ne retenir que la « navigation à vue ») pour n’en conserver que le cynisme (et sans doute jouer aussi sur la haine de l’opinion publique pour les traders). Mais bon, comment ne pas avoir de la haine pour ces gens là ? (ils collaborent tous et sont au courant de leurs agissements, mais c’est pour leur part du rêve américain). Les séquences où les courtiers miment des sodomies alors qu’ils vendent des actions ont incontestablement quelque chose de jubilatoire, dans cette obscénité absurde qui fait la marque du loup de wall street, mais carrément too much pour parler sérieusement de la bourse. C’est peut être la vulgarité de son parti pris qui nuit un peu au prestige du Loup, alourdissant parfois plus que de raison ses digressions, mais ayant épargné la narration et les principaux rebondissements qui font l’essentiel du film. Un peu racoleur, mais volontiers virtuose, Le loup de Wall Street illustre la classique ascension/déchéance d’un magnat de la bourse, sous un angle manichéen, pas forcément déplaisant. Un cru très honnête.
Voracinéphile
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le 6 janv. 2014

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