Le tragique de Casino ou de Raging Bull a déserté les bureaux de Jordan Belfort pour céder la place à une sorte de carnaval géant, où tout se passe en dessous de la ceinture. Dans un tel film, il n'est donc pas étonnant de voir Jonah Hill se branler devant une jolie blonde ou gober tout cru le poisson rouge d'un employé distrait. Cela faisait longtemps que le cinéma de Scorsese n'avait pas, aussi clairement, reconnu ce qui fait sa force: un certain sens du grotesque, qui s'exprimait, il y a vingt ans, dans cette séquence des Affranchis où Joe Pesci invitait De Niro et Liotta à prendre un bon dîner chez sa mère avant d'aller enterrer un caïd qu'ils venaient de tuer. Tout Le Loup de Wall Street ressemble à une blague de Joe Pesci, à cette différence près que Belfort n' a personne à enterrer: le plaisir de tuer, nous dit aujourd'hui Scorsese, est devenu ringard, les gangsters sont des ploucs. Le plaisir ultime consiste simplement à faire de l'argent, encore et encore. Après, on pourra se taper sur les pectoraux comme des gorilles en rut. C'est la vision de cette immense ménagerie qui reste après la projection du Loup de Wall Street: alors que Gordon Gekko était, dans Wall Street d'Oliver Stone, un homme raffiné et subtil, grand collectionneur d'art contemporain, ses enfants dégénérés sont devenus des singes hystériques répondant au cri du chef: "Pick up your phone and make money".
Note finale: 10/10, avec un malus de 1 point dû à Jean Dujardin, complètement perdu parmi les loups. C'est un peu comme si Michel Leeb avait joué dans Le Parrain de Coppola.