Je crois que je n'ai jamais autant détesté un film. Et pourtant je suis un grand amateur de Scorsese. Le truc avec Scorsese, c'est que la plupart de ses films, à ma connaissance, n'ont aucune morale annoncée. Ce réal nous montre des événements, souvent surréalistes, un point c'est tout. Il est pour ainsi dire à l'opposé de Spielberg. Et personnellement c'est ça que j'aime chez lui, on entend la voix off de son personnage principal faire des anecdotes au milieu de scènes plus ou moins mythiques, et on assiste à une sorte de comédie noire (Les Affranchis, Les Infiltrés), ou a des histoires plus sombres et toujours bien jouées, avec des scénarios plus développés (Gangs of New-York, Shutter Island, Aviator - ces deux listes se confondant, le spectre de l'oeuvre de ce réal ayant de subtiles nuances). Je ne vais pas citer tous ses films ; le fait est qu'il raconte des histoires, mais ne moralise pas (plus récemment Boardwalk Empire en atteste - bien qu'il n'ait pas tout pouvoir sur la série on reconnait sa patte).
Or ce film prend la forme d'un déluge de scènes d'une obscénité peu commune. Et c'est tout. Il n'y a réellement rien d'autre (mis-à-part un excellent casting). Les seuls aspects qui auraient pu fournir une ébauche de scénario ou de but à ce film, tel les détails de leurs pratiques financières, l'approfondissement de la psychologie burlesque des personnages et autres sont passés sous silence. Scorsese ne fait dire qu'à un seul personnage "que tout ceci est obscène" vers le milieu du film, et ça s'arrête là, il s'éclate ensuite à nous faire profiter de tous les détails anatomiques des divers protagonistes, jonglant entre le grand délire et le psychodrame, sans causalité autre que la connerie profonde étouffée de stupre surréaliste. Personnellement, bien qu'ayant une certaine ouverture d'esprit et ayant fait mes classes en matière de vulgarité cinématographique, je n’apprécie pas tellement passer 3 heures à regarder se succéder les scènes de sexe trash et d'autres plus gentilles sorties tout droit de Very Bad Trip, jonchées par-ci par-là de crises de désespoir et d'hystérie provoquées par la drogue dure.
D'aucuns disent que c'est justement pour critiquer ce mode de vie (qui n'est en plus qu'un gigantesque cliché), mais le fait est que non. Pour résumer, Scorsese nous dit "Oh regardez, de la débauche, du vice, de la connerie à profusion !". Il ne dit pas "ça craint" et sa mise en scène laisserait même penser qu'il dit "c'est dantesque". Le spectateur (pour celui qui apprécie ce film pour les "bonnes raisons"), livré à lui-même, en tire sa propre morale.
Ceci étant, je considère cela comme relativement malheureux que certains aient besoin de voir ça pour réaliser que ce n'est pas une attitude correcte (à fortiori la réalité étant à des années-lumière de ce ramassis de conneries). Pour être franc je pense que personne n'a besoin qu'on lui montre ce film pour faire la différence entre ce qui est bien et mal ou prendre conscience de l'existence de cette dualité. Ce qui rend ce film inutile en plus d'être désagréable (j'avais l'impression tenace d'être un pervers en train de regarder un porno, ni plus ni moins).
Pourquoi ? Quel est le but de cette gratuité ? En quoi la vision d'une orgie homosexuelle est-elle révélatrice de quoi que ce soit ? Scorsese montre. Il montre avec exagération une lubricité et une grossièreté généralisées, dépourvues de sens. A mon avis, beaucoup aimeront ce film parcequ'ils le trouveront amusant surtout, formatés qu'ils sont ; jusqu'où ira la surenchère ? Choquer pour choquer, de plus en plus au fil des ans dans l'industrie du divertissement, et faire rire les âmes avilies de la grande masse. Pas besoin de réfléchir ou de ressentir tant qu'on s'amuse (il est d'ailleurs inquiétant qu'un humour aussi salace puisse être tant apprécié). Ce film ne fait pas perdre espoir en l'humanité tant par son absurdité que par le nombre affligeant d'avis positifs qu'il recueille.
En gage d'objectivité j'ajouterai que bien entendu la réalisation est hyper-maîtrisée, les acteurs font un travail tip-top, beaucoup de scènes prêtent à rire (bien plus font grimacer). Le Wall Street d'Oliver Stone, bien qu'ayant pris un coup de vieux, critique lui réellement tous les aspects du milieu de la finance et son rapport au monde ; les répliques sont là, la luxure est là, mais surtout la morale y est aussi.