Nous étions un peu moins d’une dizaine dans la salle du cinéma, à attendre patiemment, à 9h30, que le film démarre. La lumière est restée allumée longtemps après que la gérante a dit « on va y aller », trois quart d’heure précisément, le temps de "régler des problèmes", le film n’était pas complètement ingesté selon les professionnels du milieu qui m’entouraient (c'était une projection presse, je ne sais pas comment j'avais atterri là). De fait, une discussion s’engageait assez librement entre eux, chacun y allant de son petit commentaire sur l’état du cinéma actuel.
- Y a combien de merdes pour un, juste un, Paris Texas aujourd’hui ? (après un temps de réflexion, il ajoute) Remarque, j’aime pas trop Paris texas en vrai. C’est chiant comme la mort je trouve.
- Quelqu'un a vu Amsterdam ? Putain ce que les acteurs sont grimaçants dans ce film. Vous l’avez vu vous, Amsterdam ? Vous trouvez pas que c’était naze et grimaçant ?
- Il dure combien de temps, le film là ? 2H05 ? 2 HEURES 05, c’est trop long quoi, c’est beaucoup beaucoup trop long pour un film. Moi je commence à en avoir ras-le-bol des films trop longs. Quelqu'un a vu Blonde ? Meilleur film de ces trente dernières années à mon sens.
Blonde qui dure quand même, je le précise, 2h46.
Au fur et à mesure, je parviens à dresser à partir de leurs échanges une petite typologie du cinéma en ce moment : il y a les films trop longs, beaucoup, beaucoup trop longs. Les films trop longs, et nuls, mais qui font 2 millions d’entrées parce qu’ils sont bien distribués (et que personne n’a vu dans la salle, parce que bon, très peu pour eux…). Il y a ensuite les films du bon format mais très mal distribués et pas assez promus, qui font 8000 entrées et qui je cite « osent se mentir à eux-mêmes en prétendant être très contents de ces chiffres », et que c’est dommage parce que c’est des pé-pites. Il y a les films avec Louis Garrel, qui attirent, je cite encore, « les jeunES.. (là, il a marqué une pause de déception en réalisant que jeune ne se met pas trop au féminin). Les jeunes filles » . Il y a enfin les films qui sont juste « pas possibles », comme celui sur david bowie… et comme on va le voir, celui de Christophe Honoré.
Car oui, le film s’est finalement lancé devant 9 personnes à 10h, mais lorsque les lumières se sont rallumées, nous n’étions plus que 7. L’un de ceux qui a fui vers la moitié du film a murmuré à voix suffisamment haute pour qu’on l’entende tous, « c’est insupportable quoi », avant de claquer la porte.
Le lycéen, est un film morose, c’est-à-dire, un film sur la mort peinte en rose. Il parle de Lucas, 17 ans, adolescent joueur et un peu paumé habitant en Isère, dont la vie bouscule du jour au lendemain à la suite d'un drame familial. Forcé de grandir trop vite, il va devoir apprendre, aidé par un voyage initiatique chez son frère à Paris.
Le film est une saturation de tristesse teinte en rose: rose du générique, rose des vêtements en cachemire, des écharpes, des murs de l’hôpital, rose du filtre lourd placé sur la moitié des plans. Complété par un bleu plus discret, bleu d’un sweat, d’un ballon, d’un ciel… Ce rose, c’est celui de la naïveté et de l’enfance, d’une douceur, d’une stabilité que tout le monde porte, sauf le narrateur, lui qui a perdu tous ses repères et illusions dans l’accident qui lui a coûté son père. Et c’est sûrement le pied de nez le plus ironique que nous propose un film dont le manque d’humour est particulièrement criant: faire croire qu’il va parler de la vie en rose, puis s’attacher à faire peser de lourds nuages gris, chargé de tonnerre de voix et de fumée de cigarette. Preuve de cette pesanteur courant des images aux dialogues, les journalistes partis ont trouvé le film in – supportables : ils n’ont pas pu porter la chape de plomb qui s’est abattu sur le cinéma.
- Le film de Christophe Honoré est d’une pesanteur extrême, aussi bien dans les thèmes abordés (deuil! dépression! suicide!) que dans sa forme : on pourrait presque faire carton plein en jouant à un bingo du film d’auteur français pendant qu’on le visionne.
- Caméra épaule, image tremblotante, zooms crades
- Une discussion sur le catholicisme dans une église
- Les personnages qui hurlent et pleurent une scène sur deux
- Les personnages qui s’allument des clopes durant la deuxième scène sur deux
- Les familles qui se déchirent autour de la table de la cuisine sur la politique,
- l’homosexualité tiraillante,
- les dialogues mélodramatiques (Je ne suis toujours pas sûre qu'ils aient été écrits au premier degré. Je ne sais pas non plus si je préfère : « Je te présente mon petit frère de Province» ou « je l’ai représentée poursuivie par le démon de la bourgeoisie », faites vos choix!!)
- le piano et le violon, les envies suicidaires, les plans de train au ralenti, l’opposition Paris/ Province, , les voix off qui se concluent en face cam,
christophe devance tous vos désirs.
Il règne une homosociabilité brisée seulement par la figure de la mère, la sienne ou celle des autres. L'influence majeure, celle d'un père disparu qu’on a peur d’avoir déçu, qui avait osé montrer ses faiblesses, était prometteuse, mais les dialogues qui en découlent sont trop explicites pour convaincre. Ce qui est dommage au fond, c’est qu’Honoré ait craint que son élément central et autobiographique, la question du deuil, et comment y faire face, ne soit pas suffisante, pas assez choc, pour convaincre et atteindre les spectateurs. Que, pour être certain que le public ressente à quel point il avait pu souffrir, il ait été obligé d’extrapoler, d’accumuler les clichés, de rajouter des couches de douleur particulièrement explicites afin qu’on ne pense pas que la sienne était trop froide. Il s’obstine à montrer absolument chaque détail, dans une redondance fatigante, créant une une intimité sans limite. Les personnages sur fond noir, assis, qui narrent le film, font penser aux spots publicitaires d’Annie Duperey de sos village d’enfants qui appellent aux dons caritatifs à la télé. Et charitable, il faut l’être pour endurer deux longues heures de drames. Quand le personnage principal déclare soudainement, « je vais me taire », on a qu’une envie, lui dire de pas hésiter. Et c’est peut-être à partir de ces scènes là que le film se fait un peu plus touchant, plus sincère, et qu’on comprend que ces thèmes du deuil qu’on gère en se réfugiant dans la chair et de la relation fraternelle face à l’épreuve, étaient des sujets super à traiter.
J'ai vu le lycéen de Christophe Honoré et j’ai ressenti une grande tristesse, mais peut-être pas celle qu’il aurait voulu. Une tristesse face à l’immense potentiel du film : à la grâce des scènes de silence, de karaoké et de chant, de la bande-son, au talent de ses acteurs, qui enchaînent avec rage les scènes de larmes et de détresse, sans jamais perdre de leur énergie. Une grande tristesse face à l’état probable de leur gorge aujourd’hui à force d’alterner les cigarettes et les cris. Une immense tristesse ensuite, en repensant à ces deux journalistes qui avaient quitté la salle en disant : « c’est insupportable », parce qu’ils n’avaient pas voulu, justement, porter cette détresse que le réalisateur leur tendait obstinément, une détresse si personnelle, et si vive, qu’elle n’était pas encore prête pour passer avec brio à l’écran. Une grande tristesse aussi, en me disant que Le lycéen pourrait certainement correspondre à ces films dénoncés ponctuellement par des personnalités du cinéma pour expliquer la baisse de fréquentation des salles ; que son individualité extrême était justement ce qui le rendait si généralisable. Que les remarques de Jérôme Seydoux, sur les gens qui ne veulent pas aller au cinéma pour se faire chier, seraient confortées devant ce film.
Le film s’est fini, il était midi. J’ai rendu avec un peu de soulagement les lunettes roses que le film avait voulu me tendre de force. Elles étaient embuées de larmes qui, d’un bout à l’autre, n’avaient pas été les miennes, et qui avaient rendu ma vision complètement floue.