Yellow Brick Lane.
Finalement peu connu en Europe en dehors de son oeuvre fondatrice, l'univers de L. Frank Baum, le créateur du "Magicien d'Oz, est une véritable institution aux USA, ayant donné lieu à une longue...
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le 15 mars 2013
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Analyse rédigée dans le cadre d'une dissertation d'histoire en avril 2020
Chaque film né au début du cinéma parlant Hollywoodien classique appartient à une catégorie précise, la comédie musicale et le western en tête d’affiche. Dès 1929, avec l’affaire du krach boursier de Wall Street, les studios américains voient leurs techniques évoluer et certains de leurs droits réduits (obligation de mettre en scène des personnages stéréotypés pour ne citer que). C’est aussi un cinéma idéologique véhiculant les valeurs de l’immigration, de l’éducation civique et dénonçant fortement les révolutions. La comédie musicale s’écarte de ces critères, étant dispensé du code Hays pour ses valeurs fantaisistes. Elle privilégie par exemple la traduction visuelle de l’exaltation sentimentale ou d’un état d’âme par le biais de la rencontre du chant et de la danse au sein d’une histoire –d’amour- contrariée. Le geste prime ainsi sur la parole, permettant aux cinéastes de passer d’un registre (lyrique) à l’autre (réaliste) en quelques mouvements de caméra.
En 1939, Victor Flemming, cinéaste issu de la Metro Goldwyn Mayer, studio n °1 des Big 5, travaille sur une adaptation du roman en trois tomes de Margaret Mitchell, Autant en emporte le vent, aux côtés de George Cukor et Sam Wood (ayant abandonné le projet en plein sentier). Parallèlement, il adapte le roman pour enfants de L. Frank Baum, Le Magicien d’Oz, amorçant l’âge d’or hollywoodien et un cinéma familial perdurant jusqu’aux années 1990, et aujourd’hui déchu.
Après avoir résumé le film de la façon la plus exhaustive, nous étudierons comment le film s’inscrit dans la période classique d’Hollywood. Nous étudierons d’abord les prouesses techniques du métrage. Nous nous intéresserons ensuite à un tournage témoin de son époque. Nous démonterons enfin le propos du film et en quoi il est adapté au contexte historique.
Vivant auprès de son oncle et sa tante dans une ferme du Kansas, Dorothy (Judy Garland), suivie de son chien Toto, sont emportés par une tornade dans un monde coloré : le ravissant pays d’Oz. La maison atterrissant inopinément, elle écrase la Méchante Sorcière de l’Est, semant la terreur dans ce petit monde, ce qui vaut à la jeune fille d’attirer l’attention de sa sœur, la terrible Sorcière de l’Ouest (Margaret Hamilton). Elle reçoit de la Bonne Fée du Nord (Billie Burke) les souliers de rubis magiques de la défunte sorcière, et emprunte la « route de briques jaunes » menant à la cité d’Emeraude où régit le tant respecté Magicien. Sur sa route, elle fait la rencontre d’un épouvantail (Ray Bolger) désirant un cerveau, un homme de fer (Jack Haley) rêvant d’un cœur et un lion peureux (Bert Lahr) en quête de bravoure, qui l’aideront à regagner la ferme d’où elle avait tant souhaité s’échapper…
Bénéficiant d’un aspect kitsch très prononcé et d’un univers délirant, Le Magicien d’Oz est l’un des contes de fées les plus prestigieux du cinéma, mais aussi une comédie musicale de premier plan qui fit de Judy Garland une star durable et vénérée. Cette éblouissante féerie est indissociable du Technicolor dont elle est l’essor, la Warner l'ayant déjà expérimenté l'année précédente avec succès pour Les Aventures de Robin des Bois de Michael Curtiz (autre adaptation ayant lancé l’épopée du cinéma familial). Le coût du procédé s’élevait à 2 millions de dollars, somme rondelette, donc un défi pour la MGM ayant dû se fendre pour l'employer. Le résultat est flamboyant de couleurs acidulées et souvent très vives, voire irréelles, accentuées par les costumes et décors spectaculaires du pays d’Oz. Partiellement tourné en noir et blanc, nous nous retrouvons et au début et à la fin au sein d’un Kansas sépia, contrastant avec le pays d’Oz tourné en Technicolor, plantant ainsi d’emblée une réalité repoussante, que la prestation de Margaret Hamilton (menaçant la famille de Dorothy de leur confisquer Toto, par ordonnance du shérif) confirme de surcroît. Nous retrouverons par la suite la comédienne sous les traits de la perturbante Sorcière de l’Ouest, analogie imaginaire de la mégère, et il en sera de même pour la plupart des comédiens secondaires (notamment, les trois fermiers de la scène d’introduction, sous les traits des trois amis imaginaires de Dorothy, ainsi que le professeur Marvel sous les traits du magicien).
Ensuite, l'autre attrait du film, est qu’il est particulièrement ancré dans son époque. Effectivement, dès sa création en 1920, Hollywood est une industrie dans laquelle chaque studio a sa propre force de police ; le star system devait construire des stars au travers de leurs personnages personnalisés. Judy Garland (interprétée en version française par Renée Simonot, étant, à titre d’anecdote, considérée comme la doyenne des comédiennes françaises à ce jour, fait théoriquement intéressant), alors âgée de dix-sept ans, a vu sa poitrine comprimée afin de la rajeunir dans le cadre de son personnage. Avec son dynamisme, sa silhouette d'adolescente romantique entraîne le public loin des tribulations quotidiennes pour lui faire découvrir une imagerie naïve du monde, tout en accord avec l'esthétique de la MGM avec qui elle a signé un contrat en 1935. C'est au cœur d’un tournage chaotique que son persona se retrouve propulsé en plein Hollywood ; elle n’est engagée que peu avant le début du tournage (Shirley Temple en pleine consécration ayant refusé le rôle), le producteur Mervyn LeRoy doit en grande partie le succès de ce film complexe, changement d’acteur pour l’Homme de fer (Buddy Ebsen avait été engagé à la place de Jack Haley dans un premier temps avant de découvrir que le premier était allergique au maquillage), séquences coupées puis rajoutées au montage, ou encore une émeute provoquée par les acteurs-nains lors de la séquence musicale aux attraits psychédéliques The Witch is Dead. A juste titre, le film est un immense succès commercial, connaîtra plusieurs ressorties et vaudra à Garland l’Oscar spécial de la meilleure des jeunes actrices, une première pour 1940. L’autopsie du tournage d’un tel morceau de l’industrie américaine de cette fin de décennie, reflète pleinement les conditions de tournage de cette époque à leur paroxysme, et ayant considérablement évolué.
Enfin, aux côtés de New York, Miami (1934) de Frank Capra, Le Magicien d’Oz marque la naissance du genre typique américain : le road movie. Effectivement, le centre de l’intrigue porte sur une quête de soi, à savoir, Dorothy et la quête du bonheur tant désiré. De brique en brique, de chanson en chanson, le protagoniste rencontre d’autres personnages au cours du voyage et avec lesquels il va retenir bon nombre de moments mémorables, plusieurs entraves les interrompent (les lubies et l’incompétence du magicien, les multiples interventions de la sorcière de l’Ouest omnisciente) et c’est au contact d’autrui qu’ils réalisent avoir abouti leurs désirs. Autre fait intéressant, pour s’orienter encore davantage vers le jeune public, le film n’hésite pas à prendre quelques libertés avec le matériau original (l’idée de rêve et les analogies entre les différents personnages des deux mondes). Egalement, le scénario, que nous pouvons aujourd’hui qualifier de manichéen et schématique, aboutit à un message simple comme tout. La conclusion est qu'il fait bon vivre chez soi, et que nul monde n’est parfait. Quel que soit la situation de notre esprit, le mal autant que le bien sont partout, d’où la confusion rêve/réel survenant dans les trois dernières minutes au cours du réveil de Dorothy. Ce conte moral se charge de refléter implicitement une société en crise au point de vue d’une adolescente, dix ans après la crise de 29 et à l’ère de la Seconde Guerre mondiale. C’est pourquoi l’univers et l’ambiance générale peuvent paraître particulièrement dérangeants pour les spectateurs regardant le film au cours d’une période difficile de leur existence. Les séquences musicales, sous une partition d’Harold Arlen et Yip Harburg, sont pleines de fantaisie et d’humour, et symbolisent pleinement les états d’âme et sentiments caractériels (le culte Over the Rainbow en est le climax). Chacune sert une rencontre fantastique avec un nouveau lieu ou avec un nouveau personnage, des créatures de Munchkinland aux trois amis de Dorothy et sans oublier le très inaccessible Magicien, à travers une séquence hilarante où le magicien émerge de derrière son rideau, où éclairs et trafic de voix lui offrent domination absolue sur un peuple soumis (une critique évidente). Du point de vue idéologique, ce film a une portée intemporelle, mémorable, particulièrement témoin de son temps.
Quatre-vingt ans après sa réalisation, ce film résonne toujours comme un enchantement de chaque seconde, où l'émerveillement et la magie font figures d'autorité suprême. Fleming et ses associés transposent à l’écran un récit universel dont la fantaisie traversent les âges, et ouvrant la voie à de futures nouveaux horizons pour la comédie musicale et, plus largement, le cinéma enfantin. Par ailleurs, il sera le fruit de théories diverses entourant le double-cryptage de l’intrigue, le tournage de certaines prises et l’impact de l’œuvre sur différents supports n’ayant à première vue aucun lien avec le film. Peut-on dire qu’un simple long-métrage de fiction a le droit de concevoir un si grand nombre d’hypothèses, par rapport seulement à son contenu ?
Sources :
- Collectif, 1001 films à voir avant de mourir, onzième édition, 2018, p.154
- https://www.senscritique.com/film/Le_Magicien_d_Oz/374386
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le 18 déc. 2020
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