La composante féministe à l'œuvre dans "Le Maître du logis", essentielle mais ne résumant pas l'intégralité du propos de ce Dreyer, est un point de singularité assez fort qui permet de relativiser, précisément, les nécessaires tentatives de relativisation quand on porte notre regard sur des antiquités vielles de près d'un siècle. Finalement, regarder ce film, c'est un peu remettre en question (au moins un petit peu, et certainement pas en totalité me concernant) la position qui consiste à juger avec circonstances atténuantes des œuvres issues de périodes régies par d'autres codes moraux. En se concentrant sur la condition d'une femme malmenée par son tyran de mari qui la traite peu ou prou comme une esclave, Carl Theodor Dreyer signe une sorte de manifeste féministe avant l'heure.
Il faut cependant pour cela passer par une dose de manichéisme et de stéréotypes propre au cinéma muet presque létale : tout le film est structuré autour de la confrontation de trois prototypes. L'homme tortionnaire d'abord, qui traite sa femme comme seulement bonne à exécuter ses ordres et à être engueulée, sa femme ensuite, soumise jusqu'au bout des ongles, et une vieille femme (ancienne nourrice du patriarche en l'occurrence), qui sera dotée plus tard dans le récit de pouvoirs quasiment maléfiques. C'est une exposition de rapports de domination très étriquée, très sèche, dont le caractère décharné peine à mes yeux à s'effacer derrière les qualités techniques et esthétiques habituelle chez Dreyer — la science du portrait est toujours aussi fabuleuse, dans le choix des cadres et des lumières.
Après le départ de la femme à bout (après avoir lu la définition du terme tyran) s'engage une autre partie, une autre dynamique, et presque un inversement de la hiérarchie puisque c'est la vieille femme qui va cette fois-ci mener la vie dure à l'ancien potentat. Tous les rouages de ce glissement ne sont pas parfaitement huilés mais peu importe, il y a soudainement chez Dreyer une certaine malice qui voit le jour. Cela n'empêche pas le film d'être un peu simpliste, un peu fastidieux, un peu trop long, mais Dreyer glisse dans le commentaire moraliste une certaine taquinerie au travers de la leçon donnée à l'ancien enfant pour la nourrice.
Très beau plan presque final montrant le dos de l'homme où apparaissent les bras de sa femme passés autour du cou.