De la Georgie raciste des années 20 jusqu'à l'élection d'Obama en 2008,la vie de Cecil Gaines,qui fut majordome à la Maison-Blanche pendant une trentaine d'années,de 57 à 86.Le film est "très librement inspiré" de l'existence d'Eugene Allen,un noir américain qui a vécu l'évolution de son pays et de sa communauté durant presque tout le XXe Siècle.Vu que c'est produit,écrit et réalisé par Lee Daniels,cinéaste black militant,on pouvait s'attendre à un énième film propagandiste et pleurnichard se lamentant sur le sort des pauvres nègres et la saloperie congénitale de ces enfoirés de blancs qu'il faudrait exterminer pour équilibrer les comptes.Il y a de ça dans "Le majordome",mais c'est plus malin et contrasté qu'un simple brûlot Black Lives Matter.Daniels parvient plus ou moins à faire la part des choses et reconnait que le statut des noirs s'est considérablement amélioré,que les blancs n'étaient pas tous des fumiers et les blacks de petits anges,que le Sud et le Nord des States c'était pas pareil même si les différences de traitement ont longtemps perduré.Le personnage de Cecil est emblématique de la condition noire du début XXe.La Guerre de Sécession avait eu lieu,l'esclavage avait été aboli et pourtant,dans les états du Sud,l'exploitation et la ségrégation continuaient joyeusement.C'est dans ce contexte terrible que Cecil s'est formé,intégrant d'entrée la soumission et l'acceptation de la domination blanche,ce qui était le lot en ces contrées de tous les noirs ne désirant pas mourir jeunes.Puis le héros est parti,échappant aux champs de coton pour devenir serveur,puis maître d'hôtel,pour se retrouver dans un grand établissement de Washington et y être repéré par un cadre de la White House qui l'a embauché parmi les majordomes au service de la présidence.Il y restera pendant des décennies et il verra défiler sept présidents,d'Eisenhower à Reagan.Lui,le petit miséreux des plantations georgiennes,fréquentera de près les grands de ce Monde des années durant,écoutant sans piper mot des conversations politiques confidentielles.Il est compréhensible dans ces conditions que cet homme se soit estimé satisfait de son sort,alors qu'il aurait aussi bien pu finir abattu comme un chien dans un champ.Mais l'Amérique changeait autour de lui,ce que symbolise le destin de son fils aîné Louis.Les jeunes noirs comme lui ne voulaient plus se contenter de servir les blancs avec déférence,ils voulaient l'égalité,la vraie,d'où la rupture entre le père et le fils,qui ne pouvaient pas se comprendre car n'ayant pas vécu les mêmes choses à la même époque et dans les mêmes conditions car la nouvelle génération est arrivée dans une période charnière où tout a basculé.Alors que Cecil continuait son travail,dont il était fier,à la Maison-Blanche,Louis s'engageait corps et âme dans la lutte pour les droits civiques sous la houlette d'un certain Martin Luther King,au grand désespoir de son paternel.Gaines s'est trouvé pris dans une spirale négative à ce moment-là.Il bossait trop et était souvent absent de la maison,sa femme Gloria sombrant dans l'alcoolisme et le trompant avec le voisin,il ne voyait plus son aîné avec qui il était fâché,et puis il y eut Charlie,le fils cadet,une autre version de l'Amérique noire de ce temps-là.Charlie qui était à mi-chemin entre son père et son frère,une génération suivante mieux intégrée,ni soumise aux blancs ni révoltée contre le système,qui aimait son pays même si tout n'y était pas parfait.Mais le garçon s'est engagé pour le Vietnam pour en revenir entre quatre planches et finir au terminus des héros US,le cimetière d'Arlington.Daniels déroule le fil de ces trente ans d'Histoire contemporaine traversées de moments forts,d'un jeune patron blanc violeur et assassin à l'arrivée d'un noir à la présidence,en passant par les émeutes raciales,les croix enflammées du Klan,les bus de la liberté incendiés,l'assassinat de JFK en 63,la robe pleine de sang de Jackie,les hippies contre le Vietnam,Luther King au tapis en 68,la radicalisation avec Malcolm X et les Black Panthers,le Watergate et le néolibéralisme à la Reagan,un siècle assez agité.Les auteurs brassent large et sont obligés de faire des impasses,d'introduire des raccourcis et de romancer énormément afin de susciter de l'empathie pour les personnages.Il ne sera ainsi fait aucune mention de la Deuxième Guerre Mondiale et des présidents comme Ford et Carter sont carrément zappés.La galerie des présidents est d'ailleurs très intéressante et là encore moins caricaturale qu'on ne le craignait.Eisenhower apparait calme et sérieux,bien qu'un peu tourmenté,Kennedy est cool et décontracté mais ne restera pas longtemps pour les raisons que l'on sait,Johnson est dépassé par les évènements mais il est tombé au mauvais moment,devant remplacer JFK au pied levé et faire face aux révoltes noires et anti-Vietnam,Nixon est une crapule sympathique toujours en campagne,jusque dans les cuisines de la Maison-Blanche.Quant à Reagan,son image est quelque peu restaurée et il semble douter du bien-fondé de ses décisions.Du reste,c'est grâce à lui que la très ancienne revendication d'égalité salariale entre noirs et blancs au sein du personnel portée par Cecil sera enfin satisfaite,ce qu'aucun président avant lui,même les démocrates,n'avait fait.Le casting est absolument incroyable et réunit notamment une brochette d'acteurs blacks parmi les plus célèbres.Forest Whitaker signe une performance exceptionnelle dans le rôle-titre et promène une justesse bluffante d'un bout à l'autre du film.Son épouse est jouée par l'animatrice télé Oprah Winfrey,qui revient ainsi,28 ans après "La couleur pourpre",aux vicissitudes de la condition noire.Le très politisé Louis a les traits de David Oyelowo,qui montera d'un cran l'année suivante en incarnant Luther King dans "Selma".Les collègues de boulot de Cecil sont interprétés puissamment par Cuba Gooding Jr et Lenny Kravitz,et Terrence Howard est réjouissant en voisin queutard.Côté présidents,les ressemblances avec les modèles sont étonnantes et les incarnations convaincantes,qu'il s'agisse de Robin Williams,le solide Eisenhower,de James Marsden,le dynamique Kennedy,de Liev Schreiber,le louvoyant Johnson,de John Cusack,le roublard Nixon,ou d'Alan Rickman,chaleureux en Reagan.On voit aussi passer dans de petits rôles Jane Fonda,Vanessa Redgrave,Mariah Carey et un Alex Pettyfer glaçant en patron de plantation sadique.

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le 18 févr. 2022

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