Il serait peut-être faux de croire que Henri Decoin abordait ici un genre peu courant dans sa carrière, plutôt spécialisé dans le drame et le polar, mais en 1955, il avait livré un excellent film historique avec l'Affaire des poisons. Ici, il n'a pas la prétention de faire un film historique, il s'inspire avant tout d'Alexandre Dumas qui dans "le Vicomte de Bragelonne", inventait un frère jumeau à Louis XIV, le fameux prisonnier au masque de fer (qui en réalité, était en velours avec des armatures d'acier : imaginez le gars avec un truc en ferraille sur la tête, c'est improbable). Cette histoire de frère jumeau était selon Decoin un bon sujet de dramatisation pour livrer un film d'aventure pseudo-historique, sous couvert d'un humour aimable et joyeux, impression accentuée par les personnages de Noël Roquevert et Jean Rochefort, et aussi par la façon de jouer de Jean Marais.

Marais incarne un D'Artagnan vieillissant, ayant atteint la quarantaine, mais un peu bouffon sur les bords, dans un ton vaudevillesque, qui répète 3 ou 4 fois Mordious, vous m'auriez vu il y a vingt ans !... c'est un petit clin d'oeil à l'oeuvre d'Alexandre Dumas ; je pense qu'il a dû s'amuser comme un fou car c'était son sixième film de cape et d'épée, et avec ce film, il tirait sa révérence à ce genre qu'il avait si bien servi. En tout cas, il campe un excellent D'Artagnan qui aime toujours autant tirer l'épée.

Le film suit quand même l'Histoire de France puisqu'il y a des personnages réels qui côtoient des personnages fictifs ; après le traité des Pyrénées, le cardinal Mazarin impose ses conditions à l'Espagne vaincue, il est donc question du mariage de Louis XIV avec l'infante d'Espagne Marie-Thérèse. Cet argument sert de canevas pour broder de l'aventure pleine de rebondissements, de complots, de combats à l'épée (réglés par Claude Carliez) et de dialogues en langage d'époque (sans en abuser), tout en intégrant la légende du masque de fer. Mais Decoin y insufle un ton léger, à la limite du burlesque. C'est pourquoi le film n'a ni l'excellence ni l'épaisseur du Bossu de Hunebelle, ou même du Capitan aussi de Hunebelle (et tous deux avec Jean Marais), mais l'ensemble est soigné, c'est plein de charme, les décors de châteaux sont beaux, c'est l'exemple d'un certain cinéma français de qualité tel qu'on en faisait dans les années 60...

Le tournage a eu lieu dans les châteaux de Courances (qui possède un escalier identique à celui de Fontainebleau), de Guermantes, de Maisons-Laffitte, d'Ecouen, tous situés non loin de Paris, de même que les séquences de prison ont été tournées vraiment dans l'île Sainte-Marguerite.

La production est en majorité française, avec une petite part italienne qui impose 2 acteurs (la belle Sylva Koscina et le peu connu Enrico Maria Salerno, impeccable dans le rôle de Mazarin). Dans le reste du casting, on a le fringant Philippe Lemaire, la superbe Claudine Auger, le facétieux Noël Roquevert, et Jean Rochefort dans un rôle de spadassin jovial, qui débutait sa carrière (il enchainera ensuite le rôle de Desgrez dans les Angélique). Quant au rôle du roi et du frère jumeau, il incombe à Jean-François Poron, acteur de théâtre et de télévision peu connu du grand public ; il avait déja rencontré Jean Marais en 1961 dans la Princesse de Clèves, et il est ici parfait dans les 2 rôles, il en profite même pour placer le mot célèbre de Louis XIV devant son carrosse, J'ai failli attendre.

On peut relever un petit anachronisme : le personnage de Rochefort est un voleur et spadassin condamné à l'écartèlement, or ce supplice était réservé aux régicides, il aurait dû plutôt être pendu ; sans doute que voir un type attaché à 4 chevaux, ça devait être plus impressionnant. On pardonne à Decoin ce petit écart, c'est son dernier grand film (il ne réalisera ensuite que 3 autres films mineurs), et je trouve qu'il s'est bien appliqué pour livrer un divertissement historique de qualité.

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le 5 sept. 2024

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