Le film n'est pas très bien fichu, fouillis, comme pas terminé ou bâclé. Comme si Lautner et son équipe s'étaient lancés dans de multiples improvisations mais avaient oublié de se coordonner. Le rythme n'est pas lent, mais plein de ruptures. Le film oscille entre sérieux (le sérieux du livre adapté, un roman d'espionnage, apparemment), Grand-Guignol et décalage.
J'ai vraiment l'impression d'un bouquet d'expérimentations, toutes intéressantes séparément, parfois extrêmement intéressantes. Paul Meurisse crée la diction décalée propre aux gangsters élégants et néanmoins crapuleux qui feront le succès des comédies policières postérieures de Lautner. La caméra choisit des angles de vue et des focales stupéfiants, clairement expérimentaux. Et il y a un usage de la musique vraiment amusant, une ironie, avec des improvisations de jazz, mais surtout d'une musique classique ou de morceaux patriotiques de tous les pays (barbouzes de tous les pays, unissons-nous) grotesquement pompeux, avec laquelle les images et les actions sont en perpétuel décalage. C'est le travail de toute une équipe qu'on retrouvera après, non seulement les acteurs, mais aussi les techniciens (notamment le chef opérateur Maurice Fellous).
Bien qu'il ne soit pas très réussi, Le monocle noir lance toutes les pistes qui feront que les films postérieurs de Lautner seront de petites pépites de "cinéma de gangster à la papa" dont les discrètes trouvailles visuelles, sonores et musicales font le secret de leur rythme et de leur drôlerie. A noter que la suite, L’œil du monocle, est plus conventionnelle : mieux maîtrisée, mais du coup moins surprenante.