Avec son sixième et dernier film, Jacques Bral aborde en 2012 un sujet encore très tabou dans le paysage cinématographique français : la double culture d'une jeunesse française éduquée selon les traditions musulmanes. Depuis, il y a eu le formidable Noces de Stephan Streker qui traite exactement le même thème. Le Noir (Te) Vous Va Si Bien reste néanmoins pionnier en la matière et se voit développé avec quelques accents de comédie et, surtout, à l'opposé de Noces, sans ne jamais directement faire référence à la religion. Bral préfère se concentrer sur le déracinement d'un père de famille et sur le choc des cultures que subit sa fille en réalisant, l'air de rien, un joli portrait de jeune femme.
Cobra, de culture musulmane et voilée, quitte le domicile familial chaque matin pour aller travailler. En chemin, elle s'arrête toujours dans le même bar pour se changer, sous le regard amusé du serveur. Les cheveux et l'esprit libres, elle rejoint ainsi sa collègue de travail, devenue sa meilleure amie, et subit les assauts de son jeune patron, raide dingue amoureux d'elle et qui souhaite l'épouser. Mais Cobra veut choisir l'homme de sa vie, en l’occurrence le serveur du bar qu'elle croise chaque matin...
Aux yeux du réalisateur, l'histoire de notre monde a trop vite évolué depuis le début des années 2000. À l'exemple d'une avalanche en montagne, l'histoire qu'il nous conte dévale une vertigineuse pente aride où rien ne peut être contrôlé face à la problématique que subit Cobra, le personnage central. Sous forme de flash-back, l’œuvre narre un drame que l'on devine déjà dès la scène introductive sans que l'on ne sache exactement de quoi il en résulte. Construit tel un polar, genre qui fut la spécialité du cinéaste au tout début des années 1980, Le Noir (Te) Vous Va Si Bien relate une soif de liberté qui ne peut s'achever qu'en tragédie dans un pays (le nôtre) ou deux cultures se voient quasiment interdites de complémentarités face à la une de certains médias et au sein de trop nombreux discours politiques. Et c'est à la pertinente question "comment deux cultures pourraient-elles être ennemies ?" que tente de répondre le film en abordant un ton léger dans la forme, mais aussi un ton incontestablement violent dans le fond.
Une interrogation alarmante que Bral n'arrive malheureusement pas à parfaitement maîtriser malgré le parti pris du cinéaste à faire du cinéma en lieu et place d'un exposé sur la situation. Pour illuminer les choix de Cobra, le réalisateur use (et abuse) d'un traitement stylisé et poétique qui se voit inopportunément imposé d'une manière abrupte. Il y manque la magie du procédé, une forme d'élégance, même si les différents comportements des protagonistes sont parfois joliment soulignés sans être pour autant approfondis (la relation entre les personnages incarnés par Élise Lhomeau et Thierry Lhermitte est, par exemple, si rapidement expédiée qu'elle en vient à être totalement inutile).
Le Noir (Te) Vous Va Si Bien reste néanmoins une œuvre intéressante à découvrir. Une odelette tantôt lumineuse et tantôt obscure sous la forme d'un portrait d'une jeune femme moderne qui n'aspire qu'à vivre et à aimer au sein d'un univers où les traditions ont indiscutablement le dernier mot.