Lorsque le regard se pose, très jeune, sur un film tel que Le Nom de la Rose, la mémoire de cinéphile s'en trouve inévitablement marquée au fer rouge. Le genre de souvenir de cinéma que l'on emporte jusque dans sa tombe, probablement.

Le Nom de la Rose, c'est d'abord la musique de feu James Horner. Ces tintements de cloche, ces ronflements synthétiques et ces voix d'outre-tombe accompagnant le générique d'ouverture façonnent d'emblée dans nos oreilles un paysage inquiétant et inhospitalier ; celui que renferme cette abbaye juchée au sommet d'une vallée du nord de l'Italie, bientôt théâtre d'une série de décès inexpliqués. De ce motif musical depuis devenu la carte d'identité du film, se déploie, en toute discrétion, une partition entre ombre et lumière, radicale pour l'époque.

C'est ensuite Sean Connery. L'acteur écossais n'était pourtant pas le premier choix de Jean-Jacques Annaud ; Guillaume de Baskerville étant déjà un mélange de moine franciscain et de Sherlock Holmes, Annaud ne voulais pas "rajouter du 007 par dessus". Mais ayant vent du projet d'adaptation du roman d'Umberto Eco, Connery débarque à l'improviste dans le bureau du cinéaste, alors à Munich, et lui déclame une réplique du livre. La suite est gravée sur pellicule, dans une interprétation d'une absolue élégance.

Enfin, ce sont toutes ces images mémorables : cette galerie de gueules (Michael Lonsdale et F. Murray Abraham, évidemment, mais également Volker Prechtel, Elya Baskin, Michael Habeck, et surtout Ron Perlman, inoubliable Salvatore), ces sordides scènes de crimes, et cette austère forteresse bénédictine créée de toute pièce à proximité de Rome.

L'âge aidant, on saisit mieux la richesse de ce qui n'était alors qu'un simple mais envoûtant thriller médiéval. Ce "palimpseste" du roman d'Eco (choix terminologique expliqué par Annaud lui-même dans le passionnant entretient réalisé par DigitalCiné à l'occasion de la sortie du film en blu-ray 4k) organise une opposition entre les forces obscurantistes (ici incarnées par le pouvoir clérical et l'Inquisition) et l'esprit éclairé de Guillaume de Baskerville. Cette confrontation donne lieu à des échanges verbaux bien évidemment savoureux, mais surtout, elle dit beaucoup de ce qui, aujourd'hui, déchirent encore nos sociétés. "Le rire restera le divertissement des simples. Mais qu'adviendra-t-il si, à cause de ce livre, l'homme cultivé déclarait tolérable que l'on rie de tout ? Pouvons nous rire de Dieu ? Le monde retomberait dans le chaos."

A méditer.

2flicsamiami
9
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le 7 mai 2024

Modifiée

le 9 mai 2024

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