Le Pacha par pierrick_D_

Après un audacieux braquage l'inspecteur Albert Gouvion,flic ripou qui avait trempé dans l'affaire,est abattu.Le commissaire divisionnaire Joss,ami depuis l'enfance avec le défunt,part alors en croisade contre le Milieu sans trop se préoccuper des procédures et en usant d'une violence radicale.C'est bizarre comme le temps remet les choses en place.Autrefois ce film apparaissait comme un énième polar de série d'un duo Gabin-Audiard au bout du rouleau et ringardisé par la Nouvelle Vague.Et puis les années ont passé,l'oeuvre les a plutôt bien traversées et aujourd'hui "Le Pacha" se révèle comme un petit joyau du thriller sixties.On est d'emblée frappé par le soin apporté à tous les niveaux de technique et de production.Il s'agit d'une coprod franco-italienne drivée par la Gafer,la boîte de Gabin et Fernandel,les romains de Rizzoli Films et Alain Poiré pour la Gaumont.L'histoire est adaptée par Georges Lautner,qui réalise,et Michel Audiard,qui dialogue,d'après un livre de Jean Laborde,excellent auteur de romans policiers.La photo grisâtre et déprimante parfaitement en adéquation avec l'ambiance générale est due à Maurice Fellous,et un Serge Gainsbourg inspiré a composé la musique,notamment le "Requiem pour un con",qu'il interprète lui-même,et "Harley Davidson" chanté par Brigitte Bardot lors d'une des nombreuses scènes mémorables du film.Les cascades sont réglées par le grand spécialiste Rémy Julienne et les combats par le fameux Henri Cogan.Parmi les assistants on trouve les futurs cinéastes Robin Davis et Claude Vital.Le scénario repose sur une classique histoire de vengeance mais se démarque par l'étalage d'une brutalité policière décomplexée qui préfigure carrément "L'inspecteur Harry" et une violence sans concession de truands sans foi ni loi guidés par un délirant appât du gain.D'ailleurs le film avait fait scandale en son temps à cause de ces éléments.La réalisation de Lautner est millimétrée et figure parmi les modèles du genre avec ses hold-up sophistiqués exécutés à la perfection,ses tueries froides et ses balades mortifères au sein d'un Paris hivernal plein de bistrots interlopes et d'appartements douteux,ou sur les routes désolées d'une Picardie plate et sinistre pourvue de décors étonnants,comme cette lugubre sucrerie abandonnée.L'ami Georges trouve brillamment les angles et les distances,et utilise de manière brillante la profondeur de champ.Petit bémol,les chutes de rythme lors des séquences "modernes" qui s'étirent à perte de vue et semblent hors sujet.On dirait que les auteurs,on est en 68,ont voulu tenir compte de l'évolution décadente de la société et s'y référer par le biais de l'exploration d'un night-club psychédélique ou d'un studio d'enregistrement.Bien sûr tout ça n'aurait pas le même impact sans les dialogues d'un Audiard au meilleur de sa forme qui se livre à un festival de répliques cyniques et hilarantes qui claquent à chaque scène.Difficile de résister à la tentation d'en citer quelques-unes: "quand on mettra les cons sur orbite,t'as pas fini de tourner","je balance pas,j'évoque!","on n'emmène pas ses saucisses quand on va à Francfort","la Saint-Barthélémy du mitan" ou "quand on cause pognon,à partir d'un certain chiffre tout le monde écoute".La distribution est un véritable régal avec sa collection de gueules d'époque qui impriment la pellicule.Jean Gabin était alors si immergé dans sa période grognon-vénère qu'on ne voyait plus trop la différence entre l'homme et l'acteur.Du coup il est bluffant de véracité en flic brut de décoffrage et fidèle en amitié en dépit des faiblesses et des trahisons de son pote de toujours,lequel a les traits chiffonnés du magique Robert Dalban,idéal en faux-jeton pas à la hauteur de ses ambitions.Les autres policiers sont le chauve Louis Seigner,grand-père d'Emmanuelle et Mathilde,parfait en directeur de la PJ arrangeant,le beau gosse athlétique Jean Gaven,qui deviendra populaire deux ans plus tard en héros de la série télé "Maurin des Maures",le doubleur de Columbo Serge Sauvion et l'excellent Frédéric de Pasquale.Côté truands ça déménage aussi avec en tête de gondole le fantastique André Pousse,absolument terrifiant en assassin glacial totalement dépourvu de conscience sous son apparence tranquille de gentleman-farmer.Curieuse coïncidence,le bouquin de Laborde s'intitule "Pouce".On a aussi l'anguleux Maurice Garrel,imperturbable en fourgueur chic,André Weber en gangster guitariste de studio,Dominique Zardi,dynamique en préposé au bazooka,plus les tronches furtives mais inratables de Michel Charrel,Henri Cogan ou Jean Luisi.Dans la section charme il y a Noëlle Adam,mais surtout la délicieuse Dany Carrel,petite grue engluée dans un sort funeste et qui dégoise de l'argot avec un naturel déconcertant.Dans leurs propres rôles on voit Gainsbourg chantant le thème du film,l'efficace et entêtant "Requiem pour un con",et Léon Zitrone présentant les infos dans une télé.