Pour quiconque marche dans les pas d’un monument, l’étendue de son ombre ne facilite guère une mise en lumière : la chose prévaut aussi pour ces quelques œuvres qui, succédant à leur(s) illustre(s) prédécesseur(s), doivent alors passer outre l’épreuve de la comparaison et du poids des attentes.
Non content de résister aisément à celle du temps, le chef d’œuvre de Coppola donna rapidement naissance à une suite, fort de ses succès critique et commercial : cette deuxième partie se prévalait aussi d’un dénouement relativement ouvert, le devenir de la famille Corleone et de leur nouveau Parrain revêtant de surcroît un intérêt irréfutable. Mais The Godfather: Part II était-il voué à ne jouer qu’un rôle anodin, ou tenir du gâchis, comme tant d’autres seconds volets mal-aimés ?
Loin s’en faut. D’abord parce que l’univers du roman éponyme de Mario Puzo avait été brillamment adapté au cadre cinématographique, que ce même portage sur grand écran compte parmi les plus fameux noms du Septième art, mais aussi en vertu d’une cohérence dans la poursuite : on songe alors à la présence renouvelée de Coppola et de son équipe technique (globalement inchangée), tout comme le casting (en dépit de l’absence notable de Brando), soit un gage de continuité formelle indispensable à la réussite du long-métrage.
Comme énoncé, le fond s’y prêtait également : après s’être hissé au sommet au prix de bien des vies, que serait le règne de Michael à l’aune de celui de Vito, dont les fondations n’avaient pas été abordées dans Le Parrain ? C’est ici que le volet de 1974 évoque un intérêt double, corrélé à l’entrecroisement de deux axes temporels : car si le principal s’en tient au présent de la famille Corleone, le second va explorer la jeunesse puis l’ascension du jeune Vito.
Paradoxalement, ce dernier est une légère déception de par son utilité patente : pris en tant que tel, j’entends que ce segment est certes intéressant, mais sans jamais réitérer le phénomène d’immersion propre au Parrain, à l’image d’un Robert De Niro m'ayant laissé sur ma faim. Toutefois, sitôt que l’on observe ses tribulations comme un point de référence, une mise en parallèle de deux parcours profondément distincts, alors cette temporalité révèle toute son importance : prenant qui plus est à rebours la tonalité des évènements contés dans le premier film, le passé de Vito, né Andolini, tranche significativement avec la prise de pouvoir de son dernier rejeton, et sert indirectement de levier quant à la teneur dramatique qu’invoque ce dernier.
Porté par un Al Pacino dominant les débats, le récit dresse en filigrane la descente aux enfers d’un Michael inflexible, incapable d’épouser le modèle paternel et échouant de la sorte à protéger les fondements de la Famille : pis encore, le travail de sape pernicieux que nous expose le film est d’une envergure tragique follement prenante, les sempiternels conflits d’intérêts et exécutions en cascade du genre s’apparentant à l’arbre cachant la forêt. Car par-delà la devanture des rapports de forces propres au monde de la mafia, Le Parrain tient bien plus encore du drame intimiste Shakespearien que du simple film de gangster.
L’inatteignable idéal d’antan, proprement enviable à travers le prisme tortueux de Michael, y fait donc écho, mais un autre élément en cristallise bien plus encore l’effet : Fredo. Auparavant discret, le cadet de feu Santino fait montre d’une évolution pas seulement fonctionnelle, sa valeur trouvant grâce sous l’égide de ces mêmes faiblesses, si discrètes dans l’indifférence du premier opus.
Désormais, sa place au sein de la fratrie prévaut tant elle va en influer l’inexorable délitement, le film multipliant par son biais les tours de force habiles tel que « la révélation Ola » :
Dévoilant sans le savoir sa trahison, Fredo ne peut voir Michael saisir enfin l’indicible vérité en arrière-plan, tandis que sa main masque peu à peu son visage et rend silencieusement compte de l’émotion l’accablant.
Il s’agit d’une séquence magnifique tant elle est terrible à souhait, et n’a d’ailleurs rien à envier au flash-back final, témoignage sans équivoque de la fracture familiale officiant à présent.
La conclusion du Parrain II est ainsi empreinte d’une cruelle ironie, au repas d’anniversaire chaleureux, et la dernière preuve de la bienveillance du frère désavoué, ne succédant que la solitude. Mais la continuité des plans illustre aussi à merveille la pertinence et le fatalisme du sombre devenir de Michael, de quoi parachever un traitement de l’effondrement brillant à tout point de vue : car dès lors que les piliers familiaux et conjugaux ne sont plus, que reste-t-il à sauver de ce simulacre ?
À défaut d’un happy-end malvenu, la réponse semble tenir de l’évidence : un thème musical toujours aussi somptueux (tant il est usé avec parcimonie), une mise en scène grandiose, des interprètes magistraux… trois heures de grand cinéma en somme, et un nouveau chef d’œuvre de Coppola.