« I killed... I ordered the death of my brother, he injured me. » MICHAEL CORLEONE

Le réalisateur Francis Ford Coppola estime que The Godfather et The Godfather : Part II ont terminé l'histoire des Corleone. Mais sa situation financière difficile, depuis l'échec de One from the Heart en 1982, le convainc d'accepter finalement l'offre de la Paramount de réaliser un troisième film de la saga.

L’auteur Mario Puzo, qui a écrit le roman The Godfather en 1969, revient lui aussi pour écrire ce troisième épisode avec Francis Ford Coppola. Ensemble, ils souhaitent que le film s’intitule The Death of Michael Corleone, mais ce choix ne sera pas accepté par la Paramount. Le studio jugeant le titre inacceptable !

Francis Ford Coppola et Mario Puzo doivent écrire au plus vite et ils vont s’inspirer de l'affaire Banco Ambrosiano, l'un des plus grands scandales politico-financiers de l'histoire italienne qui a profondément marqué la fin des années 1970 et le début des années 1980. Elle implique une banque privée, le Banco Ambrosiano, dont le président, Roberto Calvi, a utilisé des pratiques douteuses pour détourner d'énormes sommes d'argent, souvent avec la complicité de figures influentes du monde religieux, politique et criminel.

Le Banco Ambrosiano avait des liens étroits avec l'Institut pour les Œuvres de Religion, la banque du Vatican. Cette relation a permis à Roberto Calvi de mener des opérations financières très risquées et illégales, impliquant des comptes offshore et des sociétés écrans. La banque avait accumulé des dettes colossales en secret, estimées à plusieurs milliards de dollars, et Calvi avait financé des activités illicites allant du blanchiment d'argent pour la mafia à des transactions secrètes pour des organisations comme la loge maçonnique Propaganda Due, un réseau clandestin d'influence politique en Italie.

Lorsque ces fraudes ont été découvertes en 1982, le Banco Ambrosiano s'effondre, entraînant un vaste scandale. Roberto Calvi, en fuite, est retrouvé mort à Londres sous le pont Blackfriars, pendu avec des briques dans ses poches, dans ce qui fut officiellement classé comme un suicide mais est largement considéré comme un meurtre orchestré par la mafia en représailles pour ses malversations et ses dettes non payées.

Ce scandale a mis en lumière la corruption au cœur des relations entre l'Église, la finance et le crime organisé. Le Vatican lui-même fut éclaboussé, car il était actionnaire de la banque et avait indirectement participé à certaines de ces opérations frauduleuses.

The Godfather : Part III s’inspire donc directement de cette affaire et sort en 1990 dans les salles de cinéma.

Francis Ford Coppola et Mario Puzo explorent de manière approfondie les liens complexes entre le crime organisé, représenté par la famille Corleone, et l'Église catholique. Michael Corleone, vieillissant et désireux de légitimer son empire et de se racheter spirituellement pour ses péchés passés, cherche à éloigner la famille Corleone du monde criminel. Pour ce faire, il tente de transformer la fortune mafieuse en un capital respecté en investissant dans le Vatican. Le cœur de cette tentative est son projet d'acquisition d'une part majoritaire dans la société immobilière contrôlée par l'Église.

Toutefois, ce processus de légitimation est vite compromis lorsque Michael découvre que l'Église elle-même est impliquée dans un vaste réseau de corruption financière, de trahisons et de malversations. Le film illustre la collusion entre certaines figures du clergé et des organisations criminelles pour manipuler des flux financiers à travers des transactions internationales. Ces transactions révèlent l'hypocrisie de certaines institutions religieuses, prêtes à fermer les yeux sur la provenance de l'argent tant qu’il sert à renforcer leur pouvoir économique et politique. Michael, cherchant la rédemption, se retrouve piégé par ce système corrompu qu'il voulait quitter. Le Vatican est aussi vulnérable à la manipulation que n'importe quelle autre organisation humaine, et que même l'institution religieuse la plus puissante peut être compromise par les intérêts financiers et criminels.

Le lien entre Michael Corleone et l'Église devient encore plus tragique dans son aspiration à protéger sa famille tout en essayant de se racheter spirituellement. Sa quête de respectabilité le mène à une série de trahisons internes et externes, et sa tentative d’obtenir la paix intérieure par l'association avec l'Église se termine en échec. Cette relation, où la corruption de l'Église reflète la corruption morale de Michael, met en lumière l’impossibilité d’effacer les péchés passés, même à travers des gestes de repentance. Cela se manifeste de manière tragique dans la mort de sa fille Mary à la fin du film, un événement qui symbolise l’échec de son rachat et scelle son destin en tant que Parrain maudit.

La dimension shakespearienne atteint donc son apogée à la toute fin du film lors de la représentation de l’opéra Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni, traitée par Francis Ford Coppola et son monteur attitré Walter Murch sous la forme d’une longue séquence en montage alterné comme pour les précédents films. Michael échappe à une tentative d’assassinat et voit sa fille, comme dit au-dessus, se faire assassiner sous ses yeux sur les marches du théâtre, le symbole même de la tragédie classique.

Al Pacino livre une performance poignante et nuancée en incarnant un Michael Corleone vieillissant, rongé par le poids de ses péchés passés et en quête de rédemption. Il capte avec brio la transformation de Michael, désormais plus vulnérable et tourmenté, essayant désespérément de légitimer son empire mafieux et de se réconcilier avec sa conscience. Son jeu est empreint de mélancolie et de regret, particulièrement dans les moments où Michael exprime son désir de protéger sa famille tout en sachant qu'il ne peut échapper aux ombres de son passé. Il excelle dans les scènes d'introspection silencieuse autant que dans les moments d'intensité dramatique, notamment lors de la scène tragique finale où il pousse un cri déchirant qui incarne la culmination de sa déchéance.

Diane Keaton et Talia Shire (sœur de Francis Ford Coppola) reviennent elle aussi avec des performances apportant chacune une dimension cruciale à l'évolution de Michael Corleone. Diane, dans le rôle de Kay, incarne une femme désormais détachée mais encore marquée par l'emprise de Michael sur sa vie et celle de leurs enfants. Sa prestation est empreinte de résignation symbolisant le pont entre le passé tragique et l'espoir de rédemption pour ses enfants. Elle exprime une douleur retenue, surtout lorsqu'elle confronte Michael, essayant de protéger ses enfants tout en révélant l'échec de leur relation. Talia, dans le rôle de Connie, subit une transformation marquante : autrefois effacée et victime des violences de la famille, elle devient une figure centrale, presque machiavélique, totalement impliquée dans les affaires mafieuses. Son interprétation plus sombre et calculatrice renforce le poids tragique de la saga Corleone, marquant une rupture totale avec son innocence passée.

Seul Robert Duvall refuse de reprendre le rôle de Tom Hagen à moins d'avoir un salaire équivalent à celui de Al Pacino, ce qu’il n’aura pas car la production n'accède pas à sa demande.

Andy Garcia et Sofia Coppola (fille de Francis Ford Coppola) sont au cœur d’une relation amoureuse entre Vincent Mancini, le neveu illégitime de Michael Corleone, et Mary Corleone, sa cousine. Elle introduit une tension tragique et interdit une issue positive pour la famille Corleone. Leur romance, imprégnée d’un amour intense mais moralement répréhensible, symbolise la décadence de la famille, où même les liens de sang ne peuvent échapper à la corruption et à la transgression. Andy livre une prestation explosive en tant que Vincent, un personnage ambitieux et fougueux qui incarne l'héritier naturel du pouvoir mafieux, mais dont l'impulsivité met en péril tout ce que Michael essaie de préserver. Sofia, bien que critiquée pour son jeu maladroit, exprime une innocence fragile en Mary, rendant sa mort à la fin du film d'autant plus tragique.

Winona Ryder était supposée incarner Mary Corleone, mais à cause d'une bouffée de stress ingérable, la comédienne a dû abandonner alors que le tournage venait de commencer. Francis Ford Coppola prit ainsi la décision de la remplacer par sa propre fille qui n'avait pas une grande expérience en tant qu'actrice.

L’histoire de famille ne se termine pas là car Carmine Coppola (qui était déjà à la tête de la musique additionnel sur les deux premiers films) va composer la musique. Collaborant étroitement avec son fils, il crée une partition qui, tout en respectant les thèmes emblématiques de Nino Rota, ajoute une nouvelle dimension émotionnelle à ce dernier chapitre. La musique oscille entre des moments d'intensité dramatique et des passages plus introspectifs, marquant les dilemmes moraux de Michael Corleone et la chute inévitable de la famille. Les motifs siciliens, souvent utilisés dans les scènes liées aux racines familiales de Michael, soulignent le lien inextricable entre la famille Corleone et la tragédie qui la hante.

Selon Francis Ford Coppola, son film est davantage un épilogue qu’un véritable troisième chapitre de la saga, car il conclut les thèmes et arcs narratifs explorés dans les deux premiers films, plutôt que d'introduire de nouvelles dynamiques. Coppola le considère comme la conclusion inévitable et tragique de la vie de Michael Corleone, un homme qui, après avoir sacrifié tout ce qui lui était cher pour le pouvoir, cherche désespérément la rédemption, mais est incapable de fuir les conséquences de ses actes passés. Le film traite de la répercussion des choix de Michael sur sa famille et sur son âme, avec une atmosphère crépusculaire marquée par le regret et la perte. Coppola voit cette dernière partie comme une méditation sur la fin d'une dynastie, où le poids du destin et de la culpabilité écrase finalement Michael, scellant définitivement le destin des Corleone.

The Godfather : Part III est donc un épilogue sombre qui clôt magnifiquement la saga Corleone, tout en explorant les thèmes de rédemption, de culpabilité et de fatalité. Michael, rongé par ses erreurs passées, cherche désespérément à légitimer son empire et à se réconcilier avec son âme, mais se retrouve inéluctablement pris dans les filets de son passé criminel. Bien que parfois critiqué pour son rythme plus lent et certaines performances, le film offre une profondeur émotionnelle rare, notamment grâce à la prestation poignante de Al Pacino. La musique de Carmine Coppola et les enjeux liés à l'Église et à la finance accentuent la dimension tragique de cette ultime tentative de rédemption. Dans l'univers des Corleone, le prix du pouvoir est la solitude et la destruction.

StevenBen
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le 13 sept. 2024

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Steven Benard

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