Le patriotisme et la liberté face au bonheur et à l'honneur

Chez Cayatte, il y a des films que je n'apprécie pas tellement lorsqu'il a tendance à surfer sur l'actualité mais il y a aussi d'autres films que j'aime beaucoup parce qu'ils apportent un regard décalé voire dérangeant sur certaines problématiques sociétales, par exemple le fonctionnement de la justice ou encore certaines notions comme la liberté, etc ...


"Le passage du Rhin" fait indéniablement partie de cette deuxième catégorie (pour moi, bien sûr) car c'est un film de guerre qui se passe pendant la deuxième guerre mondiale et qui s'intéresse au destin de deux hommes très différents. Il nous interpelle sur des notions fondamentales comme la liberté, le bonheur, l'honneur ou encore le patriotisme.


Cayatte fait un effort méritoire pour éviter tout manichéisme et prendre de la hauteur sur toutes ces notions. Le film date de 1960, gageons qu'il n'eût pas été possible de le réaliser 10 ou 15 ans plus tôt.


Le premier de ces hommes nous apparait à l'écran derrière des barreaux car il est boulanger-pâtissier à Paris. L'atelier étant au sous-sol, seul un vasistas arrive ras la chaussée et est protégé par des barreaux... C'est Charles Aznavour, alias Roger Perrin qui joue un personnage falot marié à la fille de la maison et trime avec son beau-père (très bon Georges Chamarat) sous les ordres de son acariâtre belle-mère. La liberté quoi ... Le bonheur, aussi... Mobilisé puis fait prisonnier et orienté vers une ferme, il se rend peu à peu d'autant plus utile que l'hécatombe consomme peu à peu tous les hommes allemands valides du village. C'est la première fois de sa vie "qu'on a besoin de lui"...


Le second de ces deux hommes est un journaliste jeune et renommé, Jean Durrieu interprété par un très inspiré Georges Rivière. C'est un homme de combat (journalistique) qui a des opinions tranchées contre la machine de guerre nazie. Alors qu'on lui propose de le dispenser d'être mobilisé pour une situation mirobolante de rédacteur en chef, il refuse car il "ne veut pas qu'on le prive de sa guerre".
Prisonnier en même temps que Roger Perrin, lui, n'a de cesse de vouloir s'évader pour reprendre le combat contre les nazis. Ce qu'il finira par faire, rejoindre Londres et, bien entendu, gagner la guerre. Le journal qu'il a quitté 4 ans plus tôt, l'accueille triomphalement et en fait son directeur.
Il aime une femme (excellente Nicole Courcel) qui s'avère être à la fois son ange-gardien, son boulet et peut-être son enfer.


Alors que Roger Perrin est l'être discret (j'ai dit plus haut falot), profondément respectueux des autres, plein d'empathie pour les autres quels qu'ils soient, Jean Durrieu pète le feu. Son regard est acéré, son jugement sûr, entier et définitif, sa démarche volontaire (insupportable de le voir marcher en faisant sonner les talons sur le carrelage). C'est le vainqueur dans toute sa lumière, sa gloire et son orgueil. Dans toute son horreur, aussi. Le patriotisme, l'honneur, qu'est-ce que c'est déjà ? ... La liberté ? Peut-être, quoique ... Le bonheur ? Pas sûr.


Mais il nous faut aussi dire un mot de cette excellente actrice, Nicole Courcel, qui a un rôle ingrat et difficile dans ce film. Son personnage, Florence, n'a qu'un objectif dans la vie, c'est d'être riche et de vivre bien. Elle est amoureuse de Jean Durrieu dont elle sent l'ascension sûre et furieuse. Mais pendant qu'il est prisonnier, elle se "débrouille" car il n'est pas question de "ne pas profiter de la guerre" ...
Les années passent et elle a peur de sa beauté qui risque de se faner avant d'avoir trouvé une position définitivement enviable. Elle est le talon d'Achille de l'invincible Jean Durrieu (qui veut la posséder, au sens propre du verbe). Le patriotisme ? l'honneur ? le bonheur ? Ca sert à quoi, tout ça ?


Dans le casting, il y a nombre de seconds rôles très bons comme Georges Chamarat, Cordula Trantow (la jeune allemande de la ferme), Jean Marchat (patron du journal et collabo), Michel Etcheverry (journaliste et résistant), Albert Remy, ...


En guise de conclusion, c'est un film que j'ai découvert il y a seulement une petite dizaine d'années mais qui m'a sacrément impressionné. Car, si Cayatte a pris de la hauteur pour examiner ces grandes notions de patriotisme ou de liberté, il s'est interdit tout manichéisme et a surtout filmé à hauteur d'homme.

JeanG55
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le 30 janv. 2022

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