Le Pauvre Cœur des hommes par Coulis
Soseki Natsume est l’un des romanciers les plus connus au Japon. Il a été l’un des premiers intellectuels à être envoyé en Angleterre afin de se renseigner sur la culture littéraire et artistique du monde occidental. Même si son expérience outre-manche se révèle peu fructueuse manque d’argent, il fait probablement figure d’écrivain charnière entre la modernisation de l’époque Meiji et la trèsinternationale ère Taisho. N’ayant lu qu’un seul de ses romans (Et Puis, 1909), il m’est assez difficile de porter une analyse flagrante de toute son oeuvre. Une belle occasion pour moi de découvrir Kokoro de Ichichika Kon, la première adaptation directe du roman le plus connu de Soseki : Le pauvre coeur des hommes (1914). Un peu comme dans Et Puis, le protagoniste est un ermite par choix. Professeur émérite, il vit reclus avec sa jeune femme dans sa belle demeure, s’aventurant de temps en temps pour se recueillir sur la tombe d’un dénommé Kaji. Il se lie d’amitié avec l’un des ses anciens élèves, qui l’a jadis sauvé de la noyade, volontaire ou non, même le protagoniste l’ignore. Nobuchi, c’est son nom, finit donc par s’ouvrir à son jeune ami et se remémore les tristes évènements de sa vie…
Se déroulant en quelques jours, le film, comme le roman est divisé en deux parties. La naissance de l’amitié entre le professeur et l’élève puis les longs flash-backs qui vont expliquer la mort lente mais inéluctable de Kaji, le spectre hantant le protagoniste. Alternant films légers et dramatiques, Ichikawa plonge nous fait donc plonger dans l’introspection d’un homme écrasé par le poids de sa propre responsabilité. Fabulée ou non ? Encore une fois, Ichikawa laisse au spectateur la liberté de juger la véracité ou non de l’horreur qui accable le coeur de l’homme. Le contexte homo-érotique entre Kaji et Nobuchi est bien évidemment assez fort (ainsi que dans une moindre mesure, la relation maître/élève) mais ne m’a pas semblé fondamentale. A l’inverse, l’entremêlement de la grande Histoire et des vicissitudes des personnages est assez importante. Le film se déroule pendant les derniers jours de l’empereur Meiji en parallèle de l’agonie du propre père de l’élève. Pendant que Nobuchi reste enfermé chez lui, le monde évolue et très vite sa propre introspection ne mène qu’au regret et au chagrin. Comme l’un des généraux qui se suicide pendant le cortège funèbre de l’empereur, il ne lui reste qu’à disparaître pour emporter ses souvenirs.
Mise en scène lente, pas aussi académique que dans les autres films d’Ichikawa et un nombre assez important de gros plans. A noter une superbe scène sur la plage où Nobuchi risque la noyade avec une plan fixe tourné vers la mer depuis la plage avec la canne du protagoniste dans le champ.