Ce matin je me lève et c’est noël. Le matin de noël, quand on est enfant, c’est quelque chose. Vous avez mangé un petit chocolat tous les matins en attente de ce matin-là. Il y a un sapin couvert de jolies guirlandes et de boules brillantes dans le salon et le père-noël est passé la veille et a mis pleins de cadeaux en dessous du sapin. Des cadeaux mystérieux dans du papier de toutes les couleurs. Et dehors il neige. Il y a une petite couche blanche sur le sol et quand on expire un grand nuage s’envole dans les airs. Et puis la journée vous jouez avec vos nouveaux jouets avec tous vos cousins et toutes vos cousines et ils ont de nouveaux jouets aussi. Et entre deux vous mangez des petits plats délicieux.
Ce matin je me lève et c’est noël. Il fait noir et tout est triste. Le ciel est gris et les grands champs de tuiles dans la rue d’en face sont gris et les briques du grand bâtiment devant mes fenêtres sont gris et le sol est gris aussi. Même chez moi tout est gris. Dans la chambre c’est gris et dans le couloir c’est gris et dans le salon c’est gris aussi. Même mon jus de clémentine d’habitude orange comme une matinée de printemps semble aujourd’hui gris comme les cendres de toutes ces couleurs qu’il n’y a plus. Il n’y a pas de grand ciel bleu et il n’y a pas de givre partout sur le fenêtre. Il n’y a pas de petits nuages qui suivent les gens là où ils peuvent bien aller et il n’y a pas de glace sur le sol qui vous fait glisser de droite à gauche. Il n’y a pas de longues étendues blanches partout sur le sol et sur les toits et sur les voitures et sur les arbres et il n’y a pas de flocons de neiges qui tournoient doucement dans le ciel avec leur tronche de tarte à la crème. Il n’y a même pas de sapin dans le salon avec des cadeaux en dessous. Mes parents ne font plus de sapin et les cadeaux ont été ouvert la veille au soir.
Ce matin je me lève et c’est noël. Dehors il ne fait même pas froid. En fait, c’est un peu comme l’automne sans toutes les jolies couleurs. Sans les feuilles vertes et oranges et marrons qui font la course depuis leurs branches d’arbres jusque sur le sol et sans la grande marée rougeoyante qui inonde le ciel quand le soleil se lève. C’est comme si toute la ville avait passé un peu trop de temps dans une machine à laver et que tout avait perdu un peu de ses couleurs, ne laissant que des étendues fades et délavées. Un automne triste qui ne veut pas laisser sa place. Un automne sans les souvenirs de la douceur de l’été et un automne sans l’attente du blanc de l’hiver.
Ce matin je me lève et c’est noël. Cette année on va chez mes grands-parents. J’aime bien aller chez mes grands-parents. C’est à la campagne et toutes les pièces sont habités des souvenirs de mon enfance. Des souvenirs de mon enfance dans la cuisine, des souvenirs de mon enfance dans le salon, des souvenirs de mon enfance dans les chambres, des souvenirs de mon enfance dans les escaliers et des souvenirs de mon enfance dans le couloir d’entrées aussi. Et puis il y a un beau jardin devant et un beau jardin derrière, avec d’autres souvenirs de mon enfance dedans. C’est une belle maison où chaque pièce brille d’une couleur particulière. Mais depuis quelques temps ces jolies couleurs se fanent et tout se met à tirer doucement vers le gris.
Ce matin je me lève et c’est noël. Il fait toujours noir et tout est toujours triste. Une heure et demi de route dans cet automne sans couleurs. Une heure et demi de ciel gris et de champs marrons qui s’en vont se rejoindre à l’horizon, par-delà le gris de la route. Parfois une bande d’herbe verte se glisse entre le gris et le marron. Une heure et demi et on arrive et le beau jardin de devant n’est plus là.
Il était grand et beau et il y avait de grands sapins verts tout autour qui grimpaient chatouiller le ciel et il y avait des fleurs de toutes les couleurs, des jaunes et des oranges et des rouges et des blanches et des violettes aussi, et il y avait toujours des animaux qui s’y baladaient, des chiens et des chats et même un canard et des oiseaux chantaient dans les sapins et des papillons papillonnaient autours des fleurs et des coccinelles voletaient au-dessus de l’herbe et puis grand-père savait que j’aimais le foot alors il m’avait même fabriqué un but avec des poteaux en bois carrés et des filets bleus pour jouer quand je venais. Mais ce midi de noël quand on est arrivé il n’y avait plus rien de tout ça. Il n’y avait plus de fleurs et plus d’animaux non plus et les grands sapins ont été coupé. Il n’est même plus grand. Aujourd’hui il est tout petit. Ce n’est plus qu’une petite étendue d’herbe avec une petite pile de troncs coupés au milieu.
Ce matin je me lève et c’est noël. Le jardin de mon enfance est mort et tous les souvenirs joyeux qui j’y ai me regardent tristement depuis derrière le petit muret de pierre. Mon parrain est là. Je ne l’avais pas vu depuis une bonne petite dizaine d’année. On a bien mangé. Du poisson et puis du boudin en entrée, du gibier en plat principale et de la bûche glacée pour le désert.
Ce matin je me suis levé et c’était noël. Ce soir je me couche et noël est fini. Le Père Noël est une sacrée ordure, il a tué un peu bout de l'enfant qui restait en moi.