Dans les années 50 à Brescello,petite ville de la plaine du Pô,le curé Don Camillo et le maire communiste Peppone,aux idées farouchement opposées,se mènent une guerre déterminée mais tempérée par l'estime réciproque qu'ils se portent,tous deux ayant combattu ensemble dans les rangs de la Résistance.Cette production franco-italienne est le premier volet d'une des plus célèbres franchises du cinéma européen et connaîtra cinq suites.Les deux premiers épisodes sont réalisés par Julien Duvivier,qui cosigne ici avec le grand écrivain René Barjavel l'adaptation et les dialogues en s'inspirant du roman de Giovanni Guareschi.De très bons professionnels sont associés au projet,comme le directeur photo Nicolas Hayer,qui a souvent collaboré avec Duvivier et utilise un superbe noir et blanc,ou le compositeur Alessandro Cicognini,un des cadors de la musique de film italienne,dont les mélodies accompagnent parfaitement les contours de cette picaresque histoire.Duvivier,très bon cinéaste classique,mène à merveille son affaire et met en valeur Brescello et ses campagnes environnantes en alternant judicieusement les points de vue et les placements de caméra,tout en maintenant un rythme parfait,les scènes s'enchaînant harmonieusement tandis que la narration et les répliques,sans doute grâce à l'apport de Barjavel,tiennent un miraculeux équilibre entre comique et tragédie,dans la plus pure tradition de la comédie italienne mêlée au courant néoréaliste.Bien sûr de nombreuses séquences relèvent de la comedia dell'arte,avec des personnages truculents aux comportements excessifs,mais la noirceur n'est jamais bien loin,le film n'éludant ni la pauvreté et les inégalités sociales,ni les tensions politiques,ni les haines recuites,ni la violence toujours prête à émerger.C'est là que les auteurs sont très forts,parvenant à maintenir un ton drôle et décontracté en dépit d'évènements souvent inquiétants.Finalement les protagonistes trouvent matière à se rapprocher car ils ne sont pas dépeints de manière caricaturale.Personne n'est tout noir ou tout rouge,les communistes sont aussi des croyants,Don Camillo est un prêtre n'hésitant pas à faire le coup de poing,une fille de riches et un fils de pauvres nous jouent Roméo et Juliette,on frôle constamment le drame mais tout finit par s'arranger.On se fait des crasses,on se joue des tours pendables,on s'engueule,on se bagarre,mais au fond on s'aime bien.Cette version idyllique de la lutte des classes est certes très utopique mais c'est nécessaire dans le cadre d'une comédie.Peppone et Don Camillo sont les figures principales de l'histoire,se combattant sans merci mais dans un vrai respect mutuel confinant à une amitié qu'ils ne peuvent s'avouer puisque évoluant dans des croyances antagonistes,même si le curé a une fibre sociale et que le coco est chrétien par tradition,tous deux étant réunis par un même objectif:faire le bonheur de leurs concitoyens,même s'ils ont des moyens différents d'y parvenir.Certaines scènes sont émouvantes,comme celle où les paysans communistes,arrivés au pouvoir,viennent demander à la vieille institutrice royaliste de leur apprendre à lire et écrire,ce qu'ils n'ont pu faire enfants car ils étaient réquisitionnés pour travailler aux champs,ou le conseil municipal qui voit Peppone prendre une décision inattendue concernant un enterrement,sans oublier évidemment la fin du film et ses arrêts en gares.Fernandel et Gino Cervi forment un duo fantastique et occupent l'écran magnifiquement.Le français est un surprenant curé de choc aux pulsions violentes souvent incontrôlées,et ses conversations avec un Christ en croix qui le recadre sans cesse s'apparentent à des hallucinations matérialisant la mauvaise conscience de cet homme d'église sachant que ses agissements ne correspondent guère à son sacerdoce,une sorte d'ami imaginaire à vocation calmante en somme.Notre marseillais déploie dans ce rôle une dimension physique qu'on ne lui connaissait pas.Cervi est impressionnant en politicien madré et convaincu de détenir la vérité et cachant derrière son autoritarisme borné une belle sensibilité.Les seconds rôles sont tous excellents et ont de vraies gueules de cinéma parmi lesquelles on remarque le jeune couple formé par la jolie Vera Talchi et le beau gosse Franco Interlenghi,ainsi que Sylvie en instit âgée moins dure qu'elle ne veut le paraître.