Programmé en ce mois d'octobre dans les salles françaises, reporté maintes et maintes fois à cause du grand C, et a priori privé de sortie aux États-Unis, la nouvelle production animée de l'irlandais Tomm Moore peut d'ors et déjà se vanter d'une réputation d'acier avec l'excellent accueil réservé à son précédent film solo Le Chant de la mer (2014) et les premiers retours public dithyrambiques qu'il ait reçu à ce jour.


Je n'étais pas parti pour apprécier le film à ce point. J'ai quelques petites réserves sur les précédents films du gars, peur d'être déçu suite à la publicité HALLUCINANTE que des amis (qui s'y reconnaîtront) m'ont fait à son sujet, et comble de l'ironie, ma première séance avait plutôt mal débutée en raison, entre autres, d'un public des plus puérils à la limite du supportable. À peu près tout allait donc me faire jouer les trouble-fêtes.
Mais lorsque retentit le générique, j'eus la certitude de toute la rigueur artistique de Tomm Moore, qui a définitivement tout d'un grand.


On en ressort éblouis, bluffés, grandis. Comme si on avait réussi à combiner la force visuelle et ethnique d'un Princesse Mononoké à la douceur apparente et morale d'un Ernest et Célestine et en prenant soin, de surcroît, de ne pas répéter la singularité de ces oeuvres antérieures.


Ne nous le cachons pas, bien que brillamment écrit, le scénario ne brille pas foncièrement par son originalité. La prouesse, c'est plutôt qu'elle parvienne à convoquer nombre d'allégories - à commencer bien entendu par celle de l'animal en tant que menace pour l'Homme - mais sans à aucun moment avoir à convoquer les stéréotypes scénaristiques les plus remâchés qui soient, puisque le film se refuse tout manichéisme. Nous avons certes d'un côté la parabole de l'héroïne (Robyn) le coeur coincé entre deux chaises depuis sa métamorphose en Wolfwalker, son père dévoué au protocole afin d'assurer un avenir à sa famille - du moins, ce qu'il en reste - et cette petite boule de poils de Mebh, têtue jusqu'à la moëlle, n'inspirant pas forcément la sympathie au premier abord mais finalement touchante en rendant compte de ses souhaits les plus chers. En parlant de Robyn, en plus de susciter l'intérêt par son solide traitement morale, elle s'avère plus lucide que ses semblables, pour autant, elle a recours à plusieurs reprises au retournement de veste - par conséquent ce qui la rend plus attachante. C'est pas peu dire de la part du film ayant sans doute la lecture politique la plus actuelle du moment.


Quelque chose qui est par ailleurs assez fort au sujet du faucon Merlin, c'est la façon dont on le présente d'emblée comme une prolongation de Robyn ; c'est dès l'instant où il trouve refuge dans les bois suite à sa blessure que sa maîtresse sent un bout d'elle progressivement se changer !


En dehors des personnages, le graphisme est beau, avec ses décors forestiers avoisinant l'huile sur toile, et d'autres, plus sociétaires, qui ne manquent pas de charme non plus.
Ils jouent sans doute beaucoup d'autre part dans l'ascenseur émotionnel qui s'impose dès la seconde partie. Le Peuple Loup est le genre à offrir une vraie ampleur au cadre spatial qu'il côtoie. Un cadre spatial -la forêt- avec son histoire et ses personnages. On tremble de cesse pour lui, on prend bien le temps de nous faire comprendre, qu'en broyant ses occupants, on détruit la vie qui est en lui, son essence. C'est beau, putain !


Une nouvelle fois, le final tutoie celui de Princesse Mononoké : le père de Robyn réalise l'ampleur de la débâcle alors qu'on ne peut plus rien faire pour lui, la figure patriarcale est condamnée pour avoir passé à l'acte. Un final radical le détachant de sa personnalité terre-à-terre inénarrable.


Autre truc qui ne m'a frappé que lors du revisionnage, c'est l'intérêt des split screen, sobres et efficaces - ce qui manquait quelque part aux deux précédentes productions du gars. Le tout, accompagné par la BO en toute beauté de Bruno Coulais, celui sans qui bien des paysages dignes d'intérêt seraient restés mutiques.


Élégant, universel et tout point magistral, Le Peuple Loup vous garantit 1h40 de bonheur durant laquelle le frisson et les sentiments ne sont jamais loin. Une véritable petite merveille politique et poétique, que je range déjà parmi les classiques, pari tenu.

Créée

le 13 oct. 2021

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