Le Plaisir. Toute une promesse derrière ce titre. Tout un programme également puisque Max Ophüls adapte ici trois nouvelles de Maupassant. Et s'il est un plaisir que le réalisateur sait satisfaire, c'est bien celui des yeux. Rares sont les films en noir et blanc capables comme celui-ci de rendre aussi bien l'illusion de la couleur par la grâce d'une mise en images vibrante et vivante. Photographie impressionniste, caméra en apesanteur, décors orgiaques, tout à l'écran témoigne d'un perfectionnisme et d'un sens aiguisé de la composition cinématographique.
Mais avec le plaisir vient souvent la frustration. Et comme les éloges ne manquent pas dès que l'on parle de ce film, je préfère développer les quelques aspects qui m'ont déçu au visionnage, et qui font du Plaisir, à mes yeux, une oeuvre pas totalement à la hauteur de ses ambitions.
Il est par exemple difficile de considérer l'enchaînement de ces trois contes comme un corpus narratif solide et incontestablement cohérent. Evidemment, il y a ce déséquilibre monstrueux entre "La Maison Tellier" d'un côté, et "Le Masque" et "La Modèle" de l'autre, mais ce n'est pas le plus gênant. Car au final, regrouper ces trois histoires en les rattachant sous une thématique commune apparait plus comme un vague artifice de narration que comme une véritable envie d'explorer toutes les facettes du plaisir. Bien au contraire, on quitte le film avec l'impression d'avoir survolé le sujet en suivant trois récits déconnectés qui se complètent mal. D'ailleurs, tout est question de point de vue, mais même le chapitrage est contestable, puisque "Le Masque" semble bien plus confronter le plaisir et la mort que "La Modèle", qui de son côté, en dépit de sa violente noirceur, apparait comme une variation bien plus pertinente sur le plaisir, l'amour et la vanité.
De façon globale, bien que cela se manifeste moins dans "La Maison Tellier", la pléthore de personnages n'a que trop peu d'espace et de temps pour s'épanouir. Fatalement, Le Plaisir peine à toucher l'âme autant qu'il épate les mirettes, et c'est d'autant plus dommageable que les acteurs donnent le meilleur. Ophüls semble d'ailleurs par moments se raccrocher, impuissant, au texte de Maupassant comme à une bouée, même si la voix de Jean Servais sait ponctuellement apporter ce supplément d'émotion grâce au langage imagé de l'auteur.
Le réalisateur touche donc ici aux limites du film à sketches, puisque chaque partie du Plaisir vaut individuellement plus que la somme des trois contes. Malgré ses évidentes qualités et sa puissance esthétique, la cohérence du projet pose question et aboutit à une réflexion bien trop décousue sur ce qui fait tourner le monde. De quoi légèrement bouder son plaisir.