Voilà un film qui, à sortie, n'eut pas du tout l'impact escompté par ses créateurs.


Le personnage-titre (Hud) incarné par Paul Newman (magistral) était censé être un sale type ; or les (jeunes) spectateurs américains auraient eu un élan de sympathie pour lui ; au point de rendre les scénaristes « dégoûtés par le culte que le public voue à Hud, même s'ils admettent avoir ajouté une certaine vulnérabilité [au profil psychologique défini dans le roman dont est tiré le film] ».


Paul Newman lui aussi s'en est étonné [je traduis]:



Nous estimions que la dernière chose que les gens feraient serait de considérer Hud comme un héros. Après tout, Hud est amoral, avide, nombriliste, égoïste ; il agit en fonction de ce qu'il peut obtenir aux dépens de la communauté. Nous avons pensé que nous pourrions lui conférer un certain vernis (chaud lapin, bon buveur, professionnellement méritant, bon bagarreur de bar), mais moralement, c'est le néant. On imaginait que le public serait déconcerté par cela et pourrait en tirer des leçons. Mais les jeunes l'ont trouvé fantastique ! Son amoralité leur est passée au-dessus de la tête ; tout ce qu'ils ont vu c'est un héros de western. ( Marian Edelman Borden, Paul Newman: a Biography, 2011, p.41 )



Voyons ça de plus près --- en nous concentrant sur le seul film, car qui veut le mettre de surcroît en regard du livre met le pied dans un labyrinthe : grand écart scénario/roman, gouffre entre intention des auteurs et réception du public, contextes socio-économico-historiques, couleur politique du metteur en scène, statut de l'acteur incarnant le personnage principal, etc. : un dédale.



Avocat du ''diable'' (1) : le fils



Certes, certes, votre honneur...


Hud est un bagarreur


Lonnie croise le cafetier en train de ramasser les bris de verre de la vitrine ; la veille au soir, Hud était là...


Hud est un frimeur
( roule des mécaniques et une grosse Cadillac rose décapotable, évoque ses conquêtes... )


Hud court les filles


mais elles courent apparemment autant après lui !


Hud est désinvolte avec Alma (la douce et sensuelle "boniche") et Lonnie (son neveu), profite de ses ascendants statutaire et physique pour s'imposer : écrase les parterres de fleurs, pique le dessert de Lonnie, etc.


Hud déclare que la Loi n'est pas à suivre au pied de la lettre


Hud se dit prêt à refourguer le troupeau potentiellement malade


Hud n'est pas attaché aux terres que son père chérit et en vendrait volontiers à l'industrie pétrolière


Hud, ivre mort, agresse Alma
( je me refuse à employer le mot « viol » comme les navrés de la crèche ; cf. plus bas ).


Mais, mais... votre honneur, Mmes & MM. du jury :


Une fois que l'on a passé ses actes/dires en revue, on ne peut que constater que ce sont des écarts à la marge (y compris l'agression d'Alma ! cf. plus bas BIS) : pas de quoi vouer Hud aux gémonies comme le font tant de personnes, en mode psittacisme aigu !


Que représentent au fond la goujaterie et les forfanteries d'Hud Bannon par rapport à l'abandon d'Alma par son mari joueur ?


Que rétorque le doux Lonnie au (grand-)père incendiant Hud ?
Que tous les hommes de ce bled texan sont à l'image de son oncle : rugueux.


Maintenant, rentrons dans le dur (comme on dit si élégamment aujourd'hui).


Veuillez SVP considérer ces faits --- en laissant au vestiaire les réflexes constructivistes et les réactions d'autruche.


Le film commence avec Lonnie qui vient chercher Hud parce que son père a besoin de lui ? Que fait-il, à 6h du matin ?
>>> Il laisse en plan sa maîtresse et part avec son neveu. Il répond donc présent.


Sur place, tue-t-il des urubus (acte interdit par la Loi) lorgnant la vache morte ?
>>> Non, il se contente de les effrayer à coups de fusil.


Que fait Hud quand il voit Jesse occupé à démonter son pneu crevé ?
>>> Il lui demande s'il a besoin d'aide.


Qu'apprend-on alors que le troupeau risque d'être abattu ?
>>> Que Hud, 34 ans, travaille depuis ses 10 ans pour le ranch d'un père qui ne semble pas avoir été généreux question salaire.


Que dit Hud à son père fatigué par une dure journée de travail ?
>>> Il lui conseille de rentrer se reposer (alors que l'autre l'a, plus tôt, traité d'affreux individu sans principe)


Quelle est la réaction de Hud alors que le vieux fait un malaise au restaurant ?
>>> Comme Lonnie, il se précipite vers lui, inquiet.


Quelle est cette autre réaction quand Lonnie est pris à parti par un client, au restaurant ?
>>> Hud vient l'épauler.


Et quand le père est retrouvé rampant au milieu de la route, en pleine nuit ?
>>> Hud le prend dans ses bras et envoie Lonnie chercher une ambulance.


Est-ce que Hud se soustrait à son devoir de fils, une fois le père mort ?
>>> Contrairement à Lonnie qui refuse d'assister à l'enterrement après la messe, Hud se rend au cimetière.
...



Avocat du ''diable'' (2) : le père



Hud souffre terriblement ; ses agissements (pas si répréhensibles) sont le résultat d'un mal-être infini.


Qui plus est --- ou à cause de cela ---, c'est un garçon sensible ; sensible et intelligent (cf. ses réparties pleine d'esprit).


Qu'on en juge par ses remarques sur la tristesse des nuits de toutes les nuits , sur le mensonge et la corruption qui gangrènent le pays,



How many honnest men you know ?! ... You take away sinners away from the saints, you're lucky to end up with Abraham Lincoln.



sur la mort (« Nobody gets out of life alive» ), sur le sentiment amoureux...


Cet homme est profond mais écorché, car mal-aimé (orphelin de mère très tôt et méprisé par son père) et ne s'aimant pas.


Pourquoi cette relation avec le père ?


Ce père lui en veut à mort depuis quinze ans ; depuis que Hud, saoul, a ''tué'' son frère dans un accident de voiture.


Que doivent donc valoir pour le spectateur les invectives et le jugement de ce père plein de ressentiment, incapable de pardonner à un fils qui n'avait pas 20 ans lors de la tragédie ?


Que valent ses révélations (lors d'un énième accrochage) selon lesquelles, bien avant l'accident fatal qui a emporté le papa de Lonnie, le vieux Bannon détestait déjà l'attitude et la mentalité de Hud ?
(alors que ce dernier n'était qu'adolescent, donc !)


Que valent-elles toutes ces considérations du vieux puisqu'il estime par deux fois qu'il a sans doute été dur et injuste avec ce fils traité de voyou devant l'éternel ?!


En réalité : fatigué, à l'article de la mort et assistant à celle de son ranch, le vieux Bannon tente courageusement de faire un bilan.


Avant la triste « course aux cochons », il reconnaît même que Hud se sent seul, que les filles qu'il collectionne ne représentent rien et que, bien souvent, c'est l'attrait du beau voyou qui les pousse à coucher avec lui (« Women just like to be around something dangerous part of the time »).


Alma entend cela pendant qu'elle nettoie la vaisselle..


En définitive, le patriarche admet à demi-mots que Hud n'est pas heureux et que ce pourrait fort bien être de sa faute à lui, père intraitable, taiseux et rancunier .



Avocat du ''diable'' (3) : Alma Matters



« Black Lives Matter » nous répète-t-on depuis de longs mois.


L'urgence semble telle que des œuvres de fiction 'noircissent' (blackwashing) héroïnes et héros originellement blancs : James Bond, bien sûr, mais aussi Wally West, Human Torch, Hermione Granger (au théâtre), Nick Fury, Achille, le roi Arthur, Guenièvre...


Attendons-nous donc à une revisite imminente des histoires de notre enfance ; apprêtons-nous à raconter à nos (petits-)enfants les aventures de Noire-Neige et les Sept Nai... Hommes verticalement contrariés.
Et puis ce sera au tour de l'Histoire : Aristote, Jules César et Jeanne d'Arc étaient noirs.


Dans le roman dont est adapté Hud, le personnage d'Alma Brown est noire ; toutefois, dans la riante Amérique de 1963, le réalisateur Martin Ritt préféra opérer un whitewashing et opta pour un personnage féminin blanc : Patricia Neal, oscar du meilleur rôle feminin.


L'affriolante Alma* et Hud s'entendent fort bien.


Ces deux-là sont la seule face paisible de ce coin du monde. Entre Alma et Hud, tout est simple, naturel, tranquille, joyeux --- même si Hud la charrie, profite de sa position de ''patron'' ; elle n'est pas dupe ; elle s'en moque ; lui, aime cette force tranquille (et ses décolletés, et ses soutien-gorge apparents, et sa gouaille nonchalante).


L'ambiance est surtout très coquine. Les allusion fusent :


Hud répond (à une question pleine de sous-entendus) que chez une de ses mignonnes il n'a pas pris son petit-déjeuner au lit parce qu'ils n'en avaient pas encore fini >>> Alma sourit


Alma, assise à côté de Hud dans la Cadillac, lui signifie qu'il embaume le parfum de sa moukère, avant d'ajouter, narquoise, que de toute évidence il ne revient pas de la prairie...


Alma dit à Hud que la trace de rouge à lèvres sur sa chemise a été difficile à avoir ; il répond qu'ils n'ont qu'à essayer son rouge à lèvres à elle puis lui fait comprendre qu'elle devrait s'envoyer en l'air avant de n'être plus fraîche >>> Alma ne bronche pas et change de sujet


Alma dit qu'elle va s'occuper des biscuits puis aller se coucher ; Hud de répliquer (devant son père et son neveu) qu'il est partant pour la seconde partie de programme >>> Alma sourit


Alma évoque la nullité de sa vie maritale. Elle et Hud sont tous deux assis sur le lit d'Alma. Hud fume et tripote une fleur, la hume. Il fixe ''son employée'' avec concupiscence, lui fait comprendre qu'elle et lui pourraient... Alma ne pipe mot. Hud quitte la chambrette >>> Alma sourit


Alma laisse Hud, ivre, l'embrasser dans le cou à deux reprises pendant qu'elle est occupée à presser son chiffon à fromage.


( elle confectionne donc du frometon et se laisse bécoter sans en faire tout un fromage )


Par contre, quand Hud lui fait de nouvelles avances, plus explicites cette fois, elle décline clairement : Alma a déjà connu un salaud ; elle n'en veut pas d'autre ; Hud, qui crève de désir et a fait l'effort de jouer les gentlemen (en évoquant des petits cadeaux), se fait donc rembarrer... Il revient alors à son jeu habituel de macho ; Hud-l'arsouille menace : ce salaud, Alma l'a déjà trouvé...


La « tentative de viol »


De magnanimes perroquets estiment que Hud a essayé de violer Alma.


Rien à l'écran ne permet de conclure cela.


D'après les définitions (encyclopédiques et juridiques), il n'y a même pas agression sexuelle. Hud embrasse Alma de force (contre un mur). Quand Lonnie intervient, Alma est allongée et Hud est ''simplement'' encore en train d'essayer de l'embrasser. Question quéquette : zéro ; donc ni viol ni « tentative de viol ».


Il faut toutefois aux zombies, aux critiques à œillères et aux cauteleux pêcheurs d'abonnés SC se cantonner à ce qui se dit, pisser dans le sens du vent ou tordre le réel selon leurs lubies. Ces clowns-là feraient passer Leatherface pour le Prince charmant...


Tenez, lisez ce que dit Alma à son "agresseur", au moment des frais adieux ?



You want to know something funny? … It would have happened eventually, without the roughhousin'. You look pretty good without your shirt on, you know. Sight of that through the kitchen window made me put down my dish towel more than once.



Alma fait donc tranquillement savoir qu'elle a toujours trouvé Hud sexy et qu'elle se serait donnée à lui un jour ou l'autre...


Quelle cruelle révélation pour un homme qui souffre souffre notamment de passer à tort pour un salaud impénitent que d'apprendre finalement que l'objet principal de sa flamme (et, sans doute, de son amour) était réceptif à son charme !


Le mot/nom Alma, étymologiquement renvoie à la maternité (la protection nourricière), mais aussi, par extension, à la bienfaisance, à la bonté, à la douceur. Alma, l'autre meurtri(e), était le contrepoids compréhensif, aimant et nécessaire à l'insatiabilité/instabilité de Hud.


Comment donc les (jeunes) Américains auraient-ils pu ne pas compatir avec cette figure solide, rude, meurtrie, écorchée, incomprise ?!


On voulait leur vendre un homme à l'âme barbelée ( The Man with the Barbed Wire Soul), le plus sauvage d'entre tous : ils ont bien compris que Hud n'est en rien ce vilain sociopathe.


Newman, Ritt et ses scénaristes ont échoué dans leur tentative de portraiturer un Hud infect et de faire réfléchir le bon petit peuple sur les dangers de la société ultra-matérialiste naissante.


Cette incapacité des (pseudos)intellos et des privilégiés à se mettre sur la même longueur d'onde que le pékin moyen annonçait la victoire de la gluance du star-system tout sourire et insidieusement moralisateur.


Déjà pointait la peste de cette bien-pensance incapable de maîtrise et de réfléxivité. Quand on a des millions de dollars en poche, on ne peut avoir tort ; a fortiori quand on prêche la bonne parole. C'est donc le spectateur qui doit porter le chapeau : c'est lui qui n'a rien compris ; ce n'est pas nous qui nous sommes mal exprimé.


( ni envie ni la capacité de décrypter les raisons de la faillite de Ritt : convoquez des psychanalystes, des prêtres, Madame Soleil... )



Reste que Hud est une merveille



Il est des films dont on est (presque) sûr de tomber amoureux, dès la première minute --- dès les premières secondes ! ---, sans avoir la moindre idée du sujet traité.


Hud est de ceux-là : ces guitares mélancoliques, ce paysage désertique, ce cheval lointain qu'un pick-up transporte...


On y est.


Et puis, tout au long de cette tragique histoire : des plans, des dialogues, des regards, des silences et une bande-son magnifiquement imbriqués.


Hud est un diamant brut.


~~~~~~~


* Je me permets de préciser que ce goût pour les actrices d'antan ne m'est pas venu avec le cheveu blanc. À 19 ans, quand mes condisciples se pâmaient devant Meg Ryan, je leur opposais Joan Crawford ; nullement pour la frime, mais parce qu'elle me faisait infiniment plus d'effet que la plupart des blondasses hollywoodiennes de l'époque.


Et puis quand ils se sont mis à triquer pour Béatrice Dalle et Rosanna Arquette, j'ai compris que la fin du monde était proche...

Arnaud-Fioutieur
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le 22 juin 2021

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