Un camp de prisonniers au fin fond de la jungle birmane dirigé par le colonel Saito, un groupe de prisonniers britanniques pour la plus part menés eux par le colonel Nicholson, un pont à bâtir sur la rivière Kwaï c’est dans ce théâtre à la fois grandiose et hostile, autour de ces hommes, que David LEAN choisit de nous plonger dans l’un des films les plus cultes, mais aussi les plus aboutis de l’histoire du cinéma.
Il y a un premier aspect qui ressort du film et qui interroge sur le cinéma d’aujourd’hui c’est tout l’aspect technique, ici pas de fonds verts ou les informaticiens viendront en post production affiner ou carrément supplanter la vision du réalisateur, pas de CGI grossiers pour rendre l’action. Ici tout est fait en vrai, les explosions sont l’œuvre d’artificiers, les décors naturels ou reproduits sont palpables et les protagonistes interagissent vraiment avec les éléments. Cela peut paraître anecdotique mais pour moi cette réalité tangible m’a littéralement embarqué dans le film et tout du long je ne pouvais m’empêcher d’être en admiration, d’être au spectacle et de regretter quelque peu que cette approche de réalisation soit aujourd’hui quasiment absente des productions. Le tout étant sublimé par une mise en scène grandiose, une photographie bouleversante et un sens du cadre magistral, qui parviennent même à atténuer l’aspect maquette de certaines scènes.
Dans un premier acte où les stéréotypes des personnages pourraient laisser penser à un film manichéen, tant les clichés sont appuyés, parfois aux limites de la caricature, les japonais pétris dans leur héritage bushido, leur chef brutal et opposé à considérer toute convention internationale - on retrouvera cette vision 25 ans plus tard dans le chef d’œuvre Furyo (1982) - face à lui, face à eux le flegme et le sens de l’honneur britannique incarné par le colonel Nicholson, qui refusant par principe que les officiers participent aux travaux s’opposera à ses geôliers. L’Amérique enfin est présente mais elle paraît plus fourbe, moins franche, elle s’incarne en la personne d’un prisonnier dont la veulerie le conduira à mener une expédition pour détruire ce pont.
A partir de ce postulat, le film aurait pu n’être qu’un film de propagande à la gloire des armées alliées, mais la grande force du scénario et donc du roman de Pierre Boulle est de petit à petit gommer ces antagonismes, à force de discussions, les deux opposants finissent par ressentir l’un pour l’autre un respect sincère, qui conduira le premier à reconsidérer sa position sur l’emploi des officiers à des tâches manuelles, le deuxième à mettre un point d’honneur à réaliser l’ouvrage le plus solide possible. Le premier à se montrer plus magnanime, le deuxième à collaborer avec l’ennemi non pas par trahison mais dans la gloire et l’image de l’armée britannique dont il porte fièrement les valeurs. Leurs échanges virils, se muant en conversations Lean nous démontre qu’au delà des antagonismes guerriers et des valeurs défendues, chacun n’est qu’un homme dont l’humanité et les doutes inhérents nous sont communs à tous.
Dès lors lorsque le second acte se met en place, que les américains organisent le commando pour détruire l’ouvrage pour lequel tant de sang, de sueur, tant de cris et de violence auront été nécessaire mais qui en même temps d’un pont enjambant une rivière à l’importance stratégique majeure est devenu le symbole d’un pont plus fort entre deux peuples officiellement en guerre, nous ne pouvons nous résoudre à avoir de la sympathie pour ce commando, comme si Lean plutôt que de nous inviter à saluer l’exploit militaire, nous incitait à voir l’échange humanitaire que cette épisode - romancé certes mais inspiré de faits réels - de la seconde guerre mondiale a rendu possible.
Est ce que j’ai vraiment besoin de vous dire à quel point le casting est brillant ?
Bref, ce soir je me suis offert une séance de cinéma magique, un classique de l’âge d’or hollywoodien, un film dont évidement la musique sifflée avait déjà atteint mes sens, un film dont j’avais gardé de vagues souvenirs lors de passages à la télévision quand j’étais enfant, mais dont je redécouvre ce soir toute la maestria et tout l’héritage formidable qu’il laisse au septième art en termes de films de guerre.