La magie du cinéma selon Christopher Nolan

Sorti entre deux « Batman » à une époque où le grand public se désintéressait encore du nom de Christopher Nolan, « Le Prestige » est un film qui est presque passé inaperçu si bien qu’on oublierait parfois de le citer quand il s’agit d’évoquer la carrière de cet auteur si décrié.
Et franchement c’est bien dommage, parce que non seulement ce film est sûrement l’une des œuvres les plus accomplies de Christopher Nolan, mais en plus il s’agit certainement là du film qui résume le mieux son cinéma.


Car qu’est-ce que « Le Prestige » si ce n’est un film qui entend nous parler de prestidigitateurs ; métaphore ô combien évidente de l’univers des cinéastes ?
Du début jusqu’à la fin, ce « Prestige » ne fait que parler de cinéma, de mise en scène, et de l’importance fondamentale de l’illusion.
Dès l’ouverture, les premiers mots prononcés raisonnent telle une notice ; tel un piège de l’esprit que Nolan va refermer sur nous en l’énonçant bien fort.
Et nous, spectateurs, nous nous laissons faire parce que « we want to be fooled »… Nous voulons être bernés.


Le « prestige », nous dit-on, est le nom donné au troisième acte d'un tour de magie en représentation.
Le premier acte, la « promesse », consiste à faire constater par les spectateurs que tous les éléments utilisés dans le tour sont réels et bien normaux, afin de donner encore plus de dimension au tour qui va suivre.
Le deuxième acte, le « tour » consiste à faire disparaître l'objet observé, tout ceci devant se faire avec une indispensable mise en scène qui conduit le spectateur à interroger sa logique et ses certitudes.
Et puis enfin – l’étape indispensable pour donner de la force à ces deux premiers actes – l’illusionniste se doit de faire réapparaitre ce qui semblait irrémédiablement disparu, au dépend de toute logique.
Bien sûr tout ceci n’est qu’illusion et ne manque pas de nous le rappeler. Mais on ne vient pas voir un tour de magie pour comprendre le tour.
Nous venons dans l’espoir d’être bernés…
…Et c’est à ça que Nolan va justement travailler durant son film.


Car « le Prestige » est l’application même de cette méthode, du début jusqu’à la fin.
Au départ on nous pose la situation dans toute sa normalité. Deux grands illusionnistes autrefois associés se retrouvent lancés dans une lutte de plus en plus féroce pour devenir le maître incontesté des théâtres de Londres.
Chacun repousse sans cesse plus loin sa création mais non sans perdre de vue ce que fait le concurrent.
On s’observe, on s’inspire, on se copie… Et là où le public n’y voit que du feu, les deux protagonistes avertis n’y voient que des artifices visant à berner les gens ; de la simple technique au service de cette illusion que le public cherche tant.
Ainsi voit-on les coulisses, les traquenards et les sacrifices engagés par nos deux protagonistes dans le but d’exceller dans leur art, mais surtout on nous révèle la clef de voûte de tout cet exercice : le secret.


« Ne le montre jamais. Ils te supplieront et te flatteront pour avoir ton secret, mais sitôt tu cèderas que tu ne seras pour rien pour eux, tu comprends ? »
C’est par ces mots que le personnage d’Alfred Borden explique l’importance de savoir garder les secrets de ses tours auprès du jeune neveu de sa bien-aimé.
Le secret d’une illusion, c’est la clef.
Ne jamais la révéler.
Et quand bien même le public voudrait savoir qu’au fond de lui il ne demande qu’à être berné.
Découvrir la vraie nature du tour est toujours piteusement décevant, alors que la persistance d’une illusion fait perdurer l’impression de « magie ».
Au cinéma nous voulons être dupés. Et là où ce film est brillant c’est qu’il nous le démontre très bien.


Parce qu’après avoir développé habilement sa mécanique, le tout porté par un soin consommé de la mise en scène ainsi qu’un sens particulièrement pertinent de la reconstitution d’une époque, « le Prestige » ose faire ce qu’il n’a pourtant jamais cessé d’interdire.
A la fin il se met à nu. Il révèle le secret de son intrigue.
Et si la grande révélation pourra en décevoir plus d’un (je me souviens que lorsque je l’ai découvert au cinéma, des gens sont sortis de la salle à ce moment précis), le fait est qu’en procédant ainsi Nolan ne fait que démontrer ce qu’il avait jusqu’alors prétendu : découvrir la vérité d’un tour n’est au fond pas le plus important car c’est terriblement décevant.


Car que nous révèle cette fin ? La solution au tour de « l’homme transporté » de Borden était bien ce que Cutter avait affirmé depuis le départ : une doublure (et en l’occurrence un jumeau). D’ailleurs, Angier n’a pas forcément su faire mieux dans sa version du « véritable homme transporté ». Lui aussi à recours à une doublure : en l’occurrence un clone que la machine de Tesla parvient à générer à volonté.
Dans les deux cas, la révélation est décevante. Ça parait si simple une fois qu’on le sait. Trop simple pour que la magie persiste.


Mais ce n’est pas grave, car au fond, le plus important est ailleurs.
Le plus important est dans ce que ce film dit du cinéma et surtout de notre rapport au cinéma.


Et qu’est-ce que le cinéma d’après ce « Prestige » ?
Ce n’est qu’une illusion. Une illusion forgée à coup de techniques et de mise-en-scène. Une illusion à laquelle les gens ont envie de croire…
Et l’air de rien, avoir décidé de planter cette démonstration dans le cadre historique de la Belle époque, pour moi, ça se révèle être une idée particulièrement judicieuse.
Quelle meilleure période que celle-ci pour parler d’illusion ? Une période de changements technologiques brusques. Une période où l’avancée de la science dépasse l’entendement des gens de l’époque. Un moment où magie et technique entretiennent dans les esprits une limite au fond bien floue.


Or c’est dans cette cohérence et dans cet équilibre que, de mon point de vue, ce « Prestige » trouve toute son excellence.
Et à une époque où on aime souligner le fait que Christopher Nolan est parfois un auteur inutilement complexe qui se prend parfois les pieds dans ses propres pièges, je pense qu’il est aussi de bon ton de rappeler que le récent auteur de « Tenet » est aussi capable de films denses mais équilibrés ; décalés mais pertinents.
En tout cas, moi, avec ce « Prestige », je peux le dire sans honte : j’ai été merveilleusement berné…
…Et j’ai aimé ça.

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le 10 oct. 2020

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