C'est le deuxième film de Serge LEROY que je découvre en l'espace de quelques jours, au départ je cherchais le DVD de son film intitulé "La traque" que pour l'instant je n'ai pas trouvé. Le premier découvert étant "Légitime violence" que j'ai apprécié modérément, notamment en raison de sa conclusion qui m'a laissé perplexe quant à la position du cinéaste vis à vis de son sujet, ne sachant pas en définitive s'il se plaçait à l'instar de son principal protagoniste contre la peine de mort et la justice punitive ou au contraire du côté de l'antagoniste, qui lui est en faveur de la peine capitale.


Le quatrième pouvoir qui m'a pour le coup beaucoup plus passionné et convaincu, me permet déjà de dessiner deux lignes claires à propos du cinéma de Serge Leroy. Réalisateur dont j'ignorais jusque là l'existence, disparu assez jeune aux débuts des années 90 et qui n'a réalisé que 10 films.


La première constatation est qu'il aimait le cinéma américain et qu'il voulait non pas le singer, mais plutôt lui rendre hommage à travers ses thématiques, tout en n'omettant pas le caractère français de son œuvre. Il aurait pu en résulter un ersatz bas de gamme et sans caractère du cinéma hollywoodien, il n'en est rien, bien au contraire. Si dans ce cas précis, l'inspiration est clairement à voir du côté du cinéma de complot qui fit flores dans la décennie des années 70, puis 80 aux USA, Serge Leroy est parvenu avec beaucoup de talent et d'intelligence à transposer cela à notre culture. Les aigris diront que ça manquait de spectaculaire, les gens de goût noterons le soin apporté aux dialogues et la caractérisation des personnages ainsi qu'à la précision chirurgicale du scénario, conférant à l'ensemble un ancrage dans la réalité assez étonnant et agréable.


La seconde ligne de force qui me frappe, c'est de voir à quel point les films vus jusqu'ici sont indissociables de leurs époques. En disant cela, on peut craindre que ce soit daté, qu'il y ait un petit côté naphtaline, quelque chose de dépassé. Il n'en est rien. Evidemment l'esthétique a changé, le rapport de la société à ces questions a évolué, mais pour autant je n'ai pas trouvé au film un regard d'arrière garde.


Pour m'expliquer je vais rapidement poser un peu de contexte historique, le film sort en 1985, l'illusion Mitterrand commence à s'effriter, même si beaucoup n'en ont pas encore conscience, le ministère de l'information a vécu mais son existence n'est pas si éloignée que ça dans le temps, les médias et notamment la presse d'information vit une petite révolution, dont on subit encore les effets aujourd'hui, à savoir que d'un côté on a une presse, qui se veut être un contre pouvoir, libre, indépendante, de l'autre commence à apparaitre ce que je vais nommer de façon un poil caricaturale, la presse du paraître, symbolisée par l'avènement des groupes privés, des grands raouts du 20h télévisé, de la course à l'audimat et d'une presse qui ne voit plus sa ligne éditoriale dictée par le ministre de tutelle, mais régie par les intérêts privés, le syndrome du siège confortable mais éjectable et même si ce n'est pas encore trop le cas lors de la sortie du film, de la main mise d'une poignée de groupes privés sur l'ensemble de la profession, à deux ou trois exceptions près.


Le film questionne donc cette ambivalence, cette dichotomie presque, entre ces deux faces, à travers la découverte d'un complot impliquant les plus hautes sphères de l'état et comment les deux presses vont relayer l'information. La recherche de la vérité, et qu'importe les conséquences, qu'importe si l'on froisse Matignon ou bien a contrario suivre les injonctions plus ou moins directes du pouvoir afin de conserver son statut, sa petite place au soleil et ses entrées dans les cercles d'influences supposés. Posant du coup la question de savoir si effectivement un ministère de l'information n'avait pas au moins la vertu d'une certaine honnêteté intellectuelle.


Là où pour moi le film devient passionnant, c'est dans l'évolution de la journaliste incarnant l'aspect "feux de la rampe" du journalisme, sans trop en dire pour laisser à ceux qui voudraient le voir, elle prend conscience d'avoir été manipulée par ceux qui n'ont pas intérêt à ce que sa découverte comme journaliste d'investigation - ou ce qu'il en reste - soit rendue publique, mais de tergiversations en hésitations, alors qu'on pense qu'au final elle honorera la profession, un dernier revirement vient tout balayer. Au grand dam de son complice, acolyte, figure lui au contraire d'une forme d'intégrité absolue. Peut-être, si l'on oublie l'époque et qu'on fait l'erreur de regarder le film avec le regard actuel, pourrait on reprocher de faire porter cette indécision morale à une femme, surtout si l'on prête attention à une ligne de dialogue qui insinuerait que la promotion canapé pour les femmes ambitieuses, c'est quand même le meilleur moyen d'ascension sociale et professionnelle, pas sûr qu'un positionnement aussi passablement misogyne passerait aussi crème aujourd'hui et tant mieux, mais autres temps, autres mœurs.

Mais au final s'agit-il d'ambition ou d'arrivisme ? Le public, qui est l'un des nœuds des échanges d'idées entre les deux journalistes, doit il donner sa confiance parce que la parole de la présentatrice star du 20h ne saurait être remise en cause ou doit on gagner sa confiance parce qu'on lui donne une information juste et indépendante ?


Je crains pour le coup qu'on est loin d'avoir répondu à ces questions, le film se révélant dès lors être un aussi bien instantané de son époque, mais hélas également un regard anticipateur sur la notre et c'est je trouve brillant.


Dois-je préciser que Philippe NOIRET et Nicole GARCIA sont impeccables ?

Créée

le 14 févr. 2024

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