« The fountainhead » est l’adaptation du roman éponyme d’Ayn Rand, philosophe centrale de la pensée libertarienne. Le libertarianisme est une pensée de la liberté individualiste ; il est souvent caricaturé en un égoïsme décomplexé, une simple apologie de la loi du plus fort. Le film, où chaque scène, chaque dialogue est une illustration de la pratique libertarienne, permet d’aller au-delà de la caricature et de révéler la complexité de la philosophie d’Ayn Rand. En effet, le film inscrit d’emblée le libertarianisme dans une recherche de vertu – opposée, par exemple, à la recherche de gloire, de contrôle ou de manipulation de plusieurs personnages secondaires. L’exploration de la pensée libertarienne passe par les trois personnages principaux, trois parcours de vie libertariens :
• Gail Wynand (Raymond Massey), le « libertarien cynique », qui se vautre dans la médiocrité de la foule pour pouvoir la dominer et s’extraire de son contrôle (croit-il).
• Howard Roark (Gary Cooper), le « libertarien vertueux », qui n’accepte aucune concession et triomphe par son travail, sa constance et sa force d’âme.
• Dominique Francon (Patricia Neal), la « libertarienne dévote », qui, confrontée à l’impossibilité de la pratique libertarienne pure, refuse toute action ou s’inflige des punitions à elle-même.
Je ne maîtrise pas suffisamment la philosophie libertarienne pour aller plus loin dans la dissection du film, et ce serait trop long pour ce texte étant donné l’extrême densité du film, mais ce que je trouve le plus intéressant à relever, c’est que le film ne constitue pas (seulement) une apologie béate du libertarianisme. En donnant à voir et à comparer au spectateur-juge trois « voies » libertariennes, le film montre au passage (involontairement peut-être) les contradictions internes à cette philosophie. Ainsi, en libertarianie, une histoire d’amour entre deux adultes ressemble à s’y tromper à une amourette de cour de récréation : « je t’aime, moi non plus » (on ne tire pas les couettes, mais on se fait fouetter le visage...). Plus généralement, c’est le rapport à la société qui est paradoxal : la volonté ferme de participer au progrès de l’Humanité est annoncée et répétée, mais cela doit nécessairement se faire contre la foule méprisable qui compose l’Humanité. De même, le succès (« achievement ») est exclusivement personnel, mais le film se clôt par un procès où l’architecte fait un point d’honneur à argumenter lui-même (il refuse l’aide des médias qui lui est proposée), pour convaincre « le peuple ».
Au passage, le film se révèle être une extraordinaire ode à l’intelligence. En cela, il m’a beaucoup fait penser au « Martin Eden » de Jack London (alors que l’on connaît le gouffre idéologique qui sépare les deux oeuvres). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Rand a choisi, parmi tous les arts, l’architecture : l’égo boursouflé des « strarchitectes » est bien connu…
Par sa mise en scène, King Vidor arrive à la fois à laisser libre cours à l’expression de la philosophie d’Ayn Rand, et à accorder au spectateur un recul critique nécessaire. Le tout est porté par un jeu d’acteur exceptionnel.