En s’attaquant au mythique Jean-Luc Godard, il semblerait – à en croire le scepticisme généralisé qui a accompagné l’annonce de la sortie du film – que Michel Hazanavicius ait pris un risque énorme. Si je peux concevoir que réaliser le biopic d’un tel personnage soit quelque peu casse-gueule, j’ai bien plus de mal à voir partout répandue l’idée selon laquelle il faudrait être fou et malheureux pour oser s’attaquer à telle ou telle personne et/ou œuvre mythiques et sacralisées… Heureusement, Michel Hazanavicius a des couilles et signe avec Le Redoutable un bon film biographique et sans aucun doute l’une des meilleures comédies françaises de l’année.
Sur la forme, inutile de connaître parfaitement la filmographie de Godard pour s’apercevoir qu’Hazanavicius rend admirablement hommage à l’un des plus grands cinéastes français, en reprenant bon nombre de ses expérimentations visuelles et en citant sans cesse une imagerie chère au réalisateur franco-suisse. Je dis « admirablement » mais, en vérité, la forme que prend cet hommage au cinéma de Godard est la moindre des choses que l’on pouvait espérer de la part du Redoutable ; d’autant que le film (pour le meilleur, peut-être ?) a les bords très arrondis afin de plaire à un public qui n’a que faire des théories godardiennes du cinéma. Personnellement, c’est un choix que je respecte : Hazanavicius n’est pas Godard et fait de l'Hazanavicius, pas du Godard, tout en s’appropriant de nombreux « codes » (j’en connais un qui n’aimerait pas ce terme) cinématographiques de ce dernier.
Sur le fond, Le Redoutable transcende le simple cadre du biopic pour parler de l’engagement et, belle surprise, de l’amour. En traitant du Godard révolutionnaire de 1967 et 1968 (un Godard plus révolutionnaire que jamais, imaginez…), Hazanavicius parle des difficultés que rencontre un homme qui fait le choix de se battre, des doutes qu’une telle radicalisation de sa vie peut engendrer mais aussi des dégâts que cause sur l’entourage et sur le couple l’entremêlement intensif de la vie et du combat (qui est, ici, celui de la révolution, notamment du cinéma). Ce n’est, en effet, pas pour rien qu’au moment où tout se délie, Anne Wiazemsky (Stacy Martin) lui reproche : « Je te parle de nous et tu me parles de cinéma ».
Passons rapidement sur les performances convaincantes des acteurs pour ne pas omettre de dire (car c’est important, tout de même) que le film, souvent potache, est très drôle. N’enlevons pas non plus à Hazanavicius le mérite de faire rire par l’intermédiaire de l’acteur le moins souriant du moment, Louis Garrel, ce qui, convenons-en, n’est pas un mince exploit.
En adoptant le point de vue de la compagne de Godard de l’époque, Anne Wiazemsky, Hazanavicius brise à sa manière le quatrième mur. Il désacralise Godard, l’humanise même, de la même manière qu’il désacralisait de grands films américains dans La classe américaine et l’agent secret (et français !) dans les OSS 117. Hazanavicius maîtrise de bout en bout l’art de la désacralisation : Le Redoutable, biopic émouvant et drôle sur un homme dur, exigeant et parfois désagréable, en est la preuve ultime.