Faire un biopic sur Godard est culotté pour des tas de raisons: pour ceux qui l'adorent, chaque détail est observé à la loupe, pour ceux qui le haïssent, ils en voient pas l'intérêt d'aller voir un film accordant de l'attention à un tel cinéaste, et ceux qui ne le connaissent pas (encore) peuvent être intimidés par un sujet dont ils ne savent rien. D'ailleurs, un malentendu se forme rapidement et facilement: faut-il être un cinéphile pour apprécier ce film ? Après tout, Godard n'est pas spécialement réputé pour être 'lartiste le plus accessible du monde, et la dernière fois qu'on a entendu parler de lui, c'était pour son absence au Festival de Cannes 2016 (où il a quand même reçu un prix) pour un film réputé pour être un somnifère en puissance. Pour ma part, je suis justement allé voir ce film pour ces raisons-là, toutes mélangées. Je voulais qu'on m'explique un peu l'énigme Godard, que je connais beaucoup moins bien que Truffaut par exemple. Je voulais comprendre comment un homme qui a autant révolutionné le Cinéma s'est permis de dire que le cinéma était en train de mourir. Enfin, je voulais savoir comment, précisément, les évènements obscurs de Mai 68 (dont je n'ai toujours pas compris les motivations profondes) ont pu l'amener à une "Révolution" intérieure l'ayant amener à se radicaliser artistiquement, jusqu'à avoir l'image actuelle d'un artiste très renfermé et provocateur mais considéré comme un génie dans le monde entier. Hazanavicius répond à certaines de mes questions, et d'autres sont en suspend; malheureusement, les questions en suspend méritait mieux des réponses que les autres.
En fait, ce film ne parle pas réellement de Godard. Il n'est qu'un "sujet" parmi d'autres pour parler de pleins de sous-sujets: la Révolution intérieure, le statut d’icône, la recherche de l'Absolu, la communion rare entre la politique et le cinéma, et surtout l'auto-destruction. A travers ce film, j'ai enfin compris le problème de Jean-Luc Godard: c'est un des plus grands auto-destructeurs qu'il me fut donné de voir. Autant sur le niveau artistique que personnel. C'est un flambeur, qui brûle tout ce qu'il a adoré, juste pour voir ce qui va se passer. sans cette notion, le personnage est juste incompréhensible. Parce que le film rate la transition du premier Godard et de celui d'après mai 68. Son comportement revire trop brutalement, on ne comprend pas certaines attitudes du héros (à fond avec les étudiants, sans jamais être avec eux pour autant, et sachant à peine pourquoi ils vont dans la rue, comme le spectateur d'ailleurs). Il devient subitement méprisable au possible (il va jusqu'à traiter un chauffeur de fermier alors que ce dernier venait de faire l’innommable erreur d'avouer qu'il ne demandait du cinéma qu'une belle histoire sur grand écran) et plus on avance, plus il est impossible d'être d'accord avec lui sur quoi que ce soit. Et le problème, c'est qu'on n'a pas compris comment ça a pu arriver, comment de grosses manifs sur Paris ont pu le transformer à ce point-là. Alors, on nous brandis l'auto-Révolution. Parce que ça rend forcément détestable une auto-révolution ? Je crois pas, ça conduit à une remise en question, une auto-révolution, ça permets de vivre une nouvelle vie tout en essayant de devenir meilleur... En tout cas, elle ne se fait jamais d'un coup. Et ça, c'est vraiment loupé. Du côté de la mise en scène, elle est remarquable sur bien des points. Très respectueuse de l’œuvre de Godard, elle s'autorise des expérimentations tout en restant parfaitement lisible. Je pense notamment aux couvertures de livres reflétant les pensées, ou bien les sous-titres "traduisant" l'envers des dialogues (que j'ai trouvé géniaux- "la gauche et la droite, c'est comme des chaussures, et au bout d'un moment, on décide de marcher pieds nus !). Ce qui en vient au gros traitement du film: l'envers des pensées, ce qui se traficote dans nos têtes, jusqu'à amener à l'auto-destruction. Et c'est brillant. Toutefois, certains coups étaient dispensables: le long travelling sur Godard en train de discuter avec des partenaires, tout en montrant sur le mur derrière eux un long slogan révolutionnaire (du coup on n'écoute pas vraiment les dialogues et on n'arrive même pas à comprendre le slogan dans son ensemble) ou l'image en alternance de Sépia sans pertinence... Mais globalement, la réalisation est superbe. Le scénario n’ennuie jamais, fractionnés par des chapitres évocateurs (certaines scènes sont vraiment magnifiques, comme cette scène d'engueulade dans une voiture où Godard n'est vraiment plus Godard,d 'ailleurs il est contesté par tous !), l'image est très bien léchée. Je ne vais pas pavoiser sur la performance de Louis Garrell, tout simplement parce que je me pavoise très rarement pour les acteurs de biopic. Question de logique: lorsque tu incarnes des "monuments", tu n'a pas droit à l'erreur, soit tu es impeccable soit ta carrière est détruite. Donc, bien sûr, il n'y a rien à redire, même la diction n'est pas insupportable. Sa partenaire en face, Stacy Martin, est à la hauteur, à la fois fragile et forte, indépendante et soumise, amoureuse et déjà partie.
Ce n'est pas un grand film, mais il demeure un objet très intéressant, maitrisé de bout en bout, plein d’audace (c'est le moins qu'on puisse dire), incomplet mais intelligent, et finalement très identifiable sur certains côtés...