Le Redoutable mérite bien son nom : c'est un excellent film. Son sujet, c'est un Jean-Luc Godard âgé de trente-sept ans, oscillant doucement entre un gentleman agréable et décalé, et une ordure cynique, frustrée et imbue de sa personne. Le tout immortalisé par un impeccable Louis Garrel, imitant jusqu'aux tics de langage du réalisateur.
Pour Godard, difficile de se trouver une place dans la révolution maoïste de Mai 68, quand elle ne veut pas de lui. Et pourtant il renie tous ses films, de Pierrot au Mépris. Ce cinéma, pourtant lui-même révolutionnaire, est mort et enterré, et il faut aller de l'avant. Mais vers où ? Pendant de longs mois, Godard est partout sauf derrière la caméra. Il se rend aux AG étudiantes y prononcer quelques discours plus ou moins inspirés, jette une poignée de pavés sur les cordons de CRS, part s'ennuyer à Cannes, et demande partout une fidélité sans faille à sa femme, une Anne Wiazemsky tout juste âgée de 19 ans.
Mais rien ne vient. Le cinéaste devient aigri et désagréable et se rend compte que le vieux con, ça n'est plus seulement le Général de Gaulle, mais aussi et surtout lui, Jean-Luc Godard.
Pourtant le film n'est jamais dur ou dramatique : sa première moitié est même franchement hilarante. Toujours juste et nuancé, il est aussi toujours beau. Un visionnage attentif d'OSS 177 permettait déjà de s'en rendre compte : Hazanavicius est un formaliste de premier plan. Il fait preuve du meilleur goût dans le choix des couleurs et de la composition, et il s'offre plusieurs plans-séquences qui amplifient encore le comique jubilatoire des dialogues. À cela s'ajoutent de nombreux clins d'œil formels à Godard, dans une mise en scène bouillonnante d'idées.
Le Redoutable aurait pu être cet ennuyeux biopic qui se contente d'illustrer, de documenter la vie de son sujet. Bien plus, c'est un authentique film à idées, proclamant sans cesse son amour du cinéma et sa reconnaissance éternelle envers le vieux maître toujours vivant.