Judas s'adressa aux Romains et leur dit : ce soir, j'embrasserai publiquement un homme, et celui que j'embrasserai sera Jésus de Nazareth. Alors, vous saurez qui arrêter, qui juger et qui crucifier.
C'est sur cette fable que l'expression "un baiser de Judas" est née, symbolisant la traîtrise suprême d'un disciple envers un maître.
Le Redoutable est un baiser de Judas. Je recommande de le voir pour analyser comment on salit une icône au prétexte de lui rendre hommage à travers un biopik sans concession gnagnagnagna.
Il ne faut pas être un grand cinéphile pour admettre que Michel Hazanavicius est un bon faiseur de cinéma. Je n'ai pas dit, un cinéaste, j'ai dit un bon faiseur de cinéma (ce qui est déjà honorable). Hazanavicius est intelligent, et même malin, il sait y faire. Ses OSS 177 sont des petits bijoux fantaisistes de comédie sur lesquels on peut ne pas cracher. The Actor est un exercice de genre incomparable - peut-être d'ailleurs parce que comme personne n'en fait plus, c'est donc difficile à comparer. Pour une raison que j'ignore, Hazanavicius fait penser à Spielberg : de très bons élèves à qui peut-être il manque un éclair de génie, un grain de folie, un manque que personne ne verrait si... il n'y avait pas des emmerdeurs géniaux comme Godard. Et le génie de Godard est d'autant plus agaçant pour les industrieux qu'il se permet de ruer dans les brancarts dominants et shotter dans les tibéas des cuistres. C'est probablement insupportable pour les faiseurs qui se savent faiseurs au service d'une soupe.
Le Redoutable, c'est donc ça. Sous prétexte d'évoquer vaguement le bouquin d'une femme qui a subi les humeurs du Maître, voilà que l'étudiant se moque du vieux, lui emprunte quelques-uns de ces codes révolutionnaires pour en faire une satyre très convenue, très bas de ceinture. Pour Hazanavicius, Godard es un guignol, un pur gâchis, un il-aurait-pu-être-le-meilleur, un il-a-perdu-le-sens-commun. Ah ma bonne dame Michu, si Godard ne s'était pas perdu dans ses excentricités anti-Tout, il aurait été le pape de Rien, un homme de Panthéon, un demi-dieu suisse.
Et donc, lorsque ce film redoutable se termine, voilà qu'on se dit, si on n'est pas attentif : heureusement qu'on a des cinéastes comme Hazanavicius qui nous ramène des prix du Monde entier, du Monde entier de Rien.