Le fait est d’emblée établi, et il n’y aura pas d’interminables explications, pas de scènes d’exposition pour nous guider (et c’est tant mieux) : touchés par un phénomène mystérieux, certains humains se transforment peu à peu en animaux. Des oiseaux, des ours, des insectes, des loups, des caméléons : le bestiaire est infini. Une sorte d’hybridation spontanée, comme si la part animale de l’Homme se réveillait soudain, réclamait son dû et l’amenait au croisement (ou plutôt au choc) de deux mondes, ceux d’une Nature retrouvée et de nos sociétés surconsommatrices, empoisonnées et brutales. Hybridation qui oblige à une sorte de cohabitation, difficile évidemment (avec réfractaires d’un côté et partisans de l’autre, et autorités militaires et sanitaires entre les deux), mais assurément nécessaire dans un monde qui évolue, qui mute, se dérègle avec et contre nous.
Thomas Cailley n’hésite d’ailleurs pas, sur un scénario original de Pauline Munier (rien à voir avec le roman de Jean-Baptiste Del Amo), à faire du Règne animal un film lui aussi hybride, mélangeant ici le fantastique à une chronique familiale, là le teen movie à un récit initiatique en plus de quelques éclats de comédie. En résulte une multiplication d’arcs narratifs avec des personnages secondaires assez mal définis (par exemple celui d’Adèle Exarchopoulos, qui ne sert malheureusement à rien), et qui vient détraquer ce beau portrait d’un père et d’un fils (Romain Duris et Paul Kircher, en osmose parfaite) confrontés à la transformation et disparition de, respectivement, l’épouse et la mère, et à la métamorphose du fils. Fils qui, à son tour, devra lutter contre les effets provoqués par son altération (son émancipation, in fine) et contre ceux qui voient d’un mauvais œil ces «bestioles» considérées comme dangereuses (avec, comme seules alternatives, des dispositions à la haine et à la violence).
Le règne animal affiche en tout cas une sacrée ambition pour, disons, une production française. Parce qu’un tel film, réalisé aux États-Unis, aurait quelque chose du tout-venant, quelque chose de banal, et parce que la France, elle, est plutôt avare en films de genre audacieux ET réussis, si tant est que l’on puisse ranger Le règne animal, multiple et comme insaisissable, dans cette catégorie-là. Cailley, entouré d’une équipe technique au top, sait conjuguer effets spéciaux jamais ostentatoires, d’abord (toujours) au service de l’histoire, d’une vision poétique de ces êtres «bouleversés» dans leur chair et leur identité, reclus au fond des forêts, rendus tout à coup à leur état sauvage mais qui ont encore tant de nous, et réflexion autour d’une humanité faisant fi d’une profonde remise en question. Cette même humanité incapable de comprendre l’autre dans ses différences (et encore moins de les accepter) et d’envisager un changement, une réinvention de ses rapports au vivant et aux futures générations.
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