Il est de ces films où les émotions affleurent sans crier garde, comme un surgissement inopiné, au détour d’une chanson ringarde, d’un siphon d’évier ou rivière mélancolique. Un torrent multiple qui nous fait passer du rire aux larmes, de l’effroi d’un orage à l’émerveillement d’un envol.
Le règne animal est une ode à l’altérité singulière car avant tout universel. Evitant tous les écueils du genre, il tisse sa toile à travers de ses personnages : portes d’entrée et cœurs émotionnels du récit. C’est avant out un film humain, sur l’humanité et l’inhumanité. Qu’y a-t-il de plus universel que l’Autre, aussi proche soit-il qu’un père et son fils. Dans ce film l’autre est tout à la fois, symboles de l’étranger, du migrant ou du malade… la métaphore de la transformation animale fonctionne par son universalité. A rebrousse-poil d’un Rhinocéros, il nous questionne sur une métamorphose en ce que nous sommes déjà tous en réalité : un animal singulier qui s’adapte autant que possible à un monde trop grand, trop bruyant, trop brutal pour nous.
Le récit dépeint ainsi tout un spectre de regards possibles sur les différences : d’une acceptation d’une amie (qui elle-même a expérimenté le regard d’autrui sa différence) au rejet crasse d’un adolescent, on ne peut plus intégré dans cet univers rural et méfiant, qui déclenchera le chaos militarisé dans une vertigineuse chasse à « l’homme. »
Le calme ne reviendra qu’au cours d’une séquence sans dialogue, véritable tour de force visuel au milieu d’une forêt nocturne qui traduit à la fois la crainte, la beauté et l’inconnu de cet espace, pour l’heure, encore inhumain. La quête initiale d’une mère disparue se transforme vite en un récit d’une douceur infinie entre un père et son fils qui connaît une mutation adolescente. Là encore, la métaphore est universelle, là encore les écueils sont évités. Car c’est de la compréhension et de l’acceptation de la différence que naît une véritable relation père-fils. Porté par un duo d’acteurs impressionnants de justesse, leur lien filial transpire la bienveillance, même dans la violence physique la plus brutale. Le film se construit ainsi lentement par des scènes du quotidien mêlant à la fois incompréhensions et regards tendres. Et lorsque l’horreur humaine attendue, finit par survenir, la cruauté pathétique est doublée de notre regard, déjà si préparé, car le message universel est d’ores et déjà passé.
Magnifiquement orchestré, cette course contre l’inhumanité raisonne juste et raisonnera encore longtemps après le générique de fin. Au-delà, d’effets visuels pratiques très réussis, d’une musique bouleversante et d’une mise en scène fluide, agile et lumineuse : ce film bouleverse car il touche à notre universalité : l’Autre.