Le monde est la proie d'un étrange virus qui ne décime pas la population mais transforme progressivement l'être humain en animal.
Lana, la femme de François, la mère d'Emile est une des "victimes" dont la lente mutation a commencé. Après avoir agressé son fils, elle est hospitalisée. La faculté démunie face à la "maladie" difficile à stabiliser décide de rassembler les "mutants" dans un centre qui leur sera exclusivement réservé. Pour se rapprocher de Lana, François et Emile partent s'installer dans le sud-ouest, mais le convoi est victime d'un accident et n'arrive jamais à destination. Le père et le fils partent à la recherche de Lana.
Thomas Cailley avait déjà frappé très fort il y a neuf ans (espérons qu'il prenne moins de temps pour nous proposer son prochain film) avec le formidable et très singulier Les combattants où il évoquait déjà une forme de fin du monde à venir. Ici encore, on sent que les dérèglements climatiques et ce que l'homme fait subir à la planète ne sont pas étrangers à ce qui arrive. Le vent souffle brusquement, la tempête s'abat brutalement, un bel arbre couché qui aura une belle utilité et les multiples branches alentours laissent entrevoir les tourments climatiques. Et ce virus qui touche une partie de la population, d'où vient-il ? On ne le saura pas et on se trouve dès les premières images confrontés à l'ambivalence humaine. D'un côté ceux qui ont peur, traquent, tuent, enferment et de l'autre ceux qui pensent que face au caractère inéluctable du phénomène, il conviendrait d'apprendre à vivre ensemble, avec ces nouveaux êtres d'abord hybrides qui ont fait partie de nos familles.
Pour François et Emile la réponse est simple. Surtout pour François pour qui Lana reste la femme qu'il a aimée alors qu'une partie d'elle est déjà devenue sauvage, mi femme mi gorille (pas sûre). Pour Emile il est persuadé que sa mère "ne comprend plus rien à ce qu'on lui dit".
La première bonne idée du réalisateur est de ne pas transformer les personnes atteintes en morts vivants. Contrairement aux zombis l'évolution est lente et progressive, peut atteindre une partie du corps ou le visage, déformer la voix ou rendre la parole impossible. Au début, on n'aperçoit que quelques fragments des "bestioles", pour découvrir peu à peu une forêt quasi féérique peuplée d'êtres fantastiques d'une grande beauté. Les effets spéciaux, les maquillages, les corps à demi couverts de plumes ou de poils, les plaies dues parfois à une tentative de chirurgie réparatrice, les ailes immenses impraticables d'un oiseau merveilleux défiguré qui apprend à voler, un enfant caméléon mutique... tout est soigné dans ce film qui aurait pu se "contenter" d'être fantastique si l'histoire n'était rendue réaliste et touchante en s'attardant sur le cas d'une famille frappée à double titre puisqu'Emile voit apparaître peu à peu le loup qui sommeille en lui. Il préfère dans un premier temps ne rien dire à son père.
Comme pour Les combattants Thomas Cailley choisit la forêt pour planter son décor. "Dans les Landes de Gascogne, on peut facilement réduire le paysage à une succession de pinèdes et de champs de maïs. Mais au milieu de ce territoire transformé par l’Homme, il y a des oasis naturelles, les derniers hectares d’une forêt primaire troués de lagunes". C'est dans l'espace de cette forêt enchanteresse et inquiétante, que vont se réfugier les fugitifs poursuivis par l'armée. C'est là qu'Emile en cherchant sa mère fait une rencontre et se lie d'amitié avec Fix, l'homme oiseau en colère, magnifique créature (surprenant Tom Mercier), angoissée, désespérée de perdre l'usage de la parole et acharnée à maîtriser l'usage de ses ailes.
Ambition, risques et tension sont au programme de ce film exceptionnel et différent qui joue à fond la carte du fantastique. Et l'est à plus d'un titre car il est aussi l'histoire d'amour d'un homme pour sa femme (Romain Duris tout en amour et dévouement est bouleversant comme il ne l'a jamais été) qui ne se résout pas à la perdre à jamais même si c'est sûr, elle est d'ailleurs... et l'histoire d'amour d'un père autoritaire et protecteur pour son fils qui va tout tenter pour le mettre à l'abri de la folie qui enfle. Dans la voiture en pleine nuit, François et Emile vont pousser l'ampli à 12, hurler "maman" et "Lana" pendant que Pierre Bachelet l'assure : "Elle a des gestes... Qui rendent bête ou rendent chien" pour qu'elle entende ou se souvienne que c'est sur cette chanson désuète (qu'on ne pourra plus jamais entendre de la même façon) qu'ils se sont rencontrés. C'est simple, c'est beau, on sourit et on se retient de laisser échapper une petite larme.
Les dialogues sont savoureux parfois pour détendre un peu l'ambiance anxiogène. A François qui l'assure
- "Désobéir, c'est ça le courage aujourd'hui",
- Emile réagit : "pourquoi je t'obéis alors ?"
et François répond : - "rien à voir, je ne suis pas le système".
Et pour éluder une question embarrassante : - "Tu m'en veux que l'hôpital, ils l'ont emmenée, après qu'elle m'ait attaqué ?
- "Je t'en veux de ne pas savoir conjuguer une phrase. Et de bouffer du saucisson à 1 €uro de chez Leader Price".
- "C'est toi qui l'as acheté".
Et si Adèle Exarchopoulos (très bien) hérite d'un rôle qui aurait pu être coupé au montage, elle est vraiment chouette en gendarmette qui tente et rate plusieurs tentatives de jeux de mots balourds.
Quant à Paul Kircher, ado parfois buté aux rares sourires irrésistibles, c'est impressionnant de le voir porter ainsi un film sur ses épaules qui se couvrent de poils, le voir se transformer physiquement, prendre peu à peu une allure animale, heurtée, avoir l'odorat qui augmente, être brusquement incapable de pédaler sur son vélo et entendre sa voix devenir saccadée et métallique.
Tout ici est beau, tendre et spectaculaire (avec quelques petits moments gores), la musique de Andréa Laszlo de Simone est merveilleuse, elle a du souffle et de l'ampleur et à la fin, je n'ai plus rien retenu, j'ai laissé couler les larmes.