Ce film ne parle pas de la fin du monde. Il ne parle pas d'invasion de créatures terrifiantes, n'a pas de grands propos sur l'homme ou sur sa supposée nature. Il n'évoque pas la question écologique et ne nous nous rend pas témoins de l’inaction climatique, pas plus qu'il ne prédit le remplacement ou la régression de l'homme sur Terre. Il ne met pas le spectateur face à ses questionnement existentiels, ni ne fait ressurgir ses passions enfouies. Il ne parle même pas de ces pèquenots qui votent Zemmour.
Ceux qui recherches ses choses se fourvoies, s'agacent.
« C'est plat, c'est mou, ça fait même pas peur ! »
Et pour cause, les gens vivent normalement avec cette épidémie qui court depuis 2 ans, certes mal comprise, mais on s’adapte à tout, on s'habitue à tout. Quelle drôle d'époque ! lâche-t-on tout au plus, en haussant les épaules. Était-ce bien différents, quand une épidémie bien elle réelle nous rendait tantôt confinés, tantôt masqués, tantôt sous couvre-feux ? Quelle drôle d'époque ! disions nous alors.
Non, les créatures dans le Règne animal ne font pas peur. Pas seulement à cause d'effet spéciaux pas toujours convaincants, mais parce que ce n'est pas ce que Thomas Cailley cherche à nous offrir.
Aucun propos n'est asséné. La déshumanisation des personnes malades fait-elle l'objet de longue scènes de maltraitances, de discours politiciens accablants ? Non : des soldats même pas armés, le mur gris d'un centre de soin vu brièvement à travers la vitre d'une voiture, une discussion entre ado à la cantine, pendant qu'on s'échange des yaourts. Certes, il y a les pèquenots. Le film prend un parti osé : dire qu'abattre des gens malades, c'est pas bien ! J'espère que cette poussée de politiquement correct ne vous est pas trop insupportable ! Mais même concernant le personnage du patron, il est moins montré comme un fasciste sanguinaire que comme un boutiquier qui en a marre de se faire démonter la cabane 2 fois par semaine...
Tous les personnages de ce film sonnent juste. L'ado de 16 ans qui se frite avec son père, comme tous les ados de 16 l'ont fait, et ce père qui se retrouve seul et fait du mieux possible, avec ses propres contractions. Ceci est non seulement apporté sans aucune lourdeur, et même avec humour. Bien que les dialogues ne jouissent pas d'une intensité folle, chacun est à sa place. On croit à ces personnages et à cette vie dans un monde où les règles n'ont finalement pas tant changé que ça. Cailley maîtrise parfaitement le rythme du film, ainsi que celui de chaque scène. N'en résulte aucune tension inutilement appuyée, aucune blague tombant à plat, aucun personnage résolument absurde. Et pourtant, la simplicité du dispositif engage quand même le spectateur, par la justesse de cette relation filiale, la sobriété avec laquelle est suggéré le béguin naissant entre le personnage d'Adèle Exarchopoulos et le papa, et la simplicité de chaque rencontre avec les créatures, qui en font des moment fascinant tant on s'y croirait.
Thomas Cailley a éjecté toute intrusion de fantastique, a refusé de faire un thriller angoissant, a eut le courage d'échapper à un traitement racoleur de ses créatures ; mieux vaut trop que pas assez dit-on, Thomas Cailley aura plutôt écouté Saint-Exupéry : la perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer. Le Règne animal est-il un chef-d’œuvre qui va révolutionner le cinéma français, comme on peut le lire ici et là ? Assurément non, d'ailleurs le cinéma français se porte très bien, merci pour lui. Mais le film ne souffre d'aucune fausse note. Certain n'apprécieront pas la mélodie : ils ont le droit. Mais le chef d'orchestre était impeccable ce soir, et les spectateur sont ressortis enchantés, tout en se demandant : et si j'étais atteins de cette maladie, en quel animal me changerais-je ?