OGM - Organismes Génétiquement Meurtriers
ou
La transgénèse à l'aise
Le titre annonce les limites du concept. En renversant la proposition de L'île du docteur Moreau (une métaphore qui reposait sur la prémisse scientifiquement absurde de la supposée amélioration accélérée de l'évolution animale par un processus de domestication violent qui rappelait les tortures infligées aux colonisés torturés par les civilisateurs), le film entérine le clivage qu'il prétend transgresser : les "humains" se changent en hybrides d' "animaux". Les autres animaux ne se transforment pas en autres espèces - pas de chimères. D'ailleurs, la seule autre espèce aperçue est l'animal de compagnie canin. Le garçon métamorphosé ne part pas courir avec les loups ; et les hybrides n'interagissent guère ni entre eux, ni avec leur environnement "naturel", sur lequel ils semblent n'avoir aucun impact - sauf un nid d'homme-oiseau. Comme s'il y avait une coupure nette entre les milieux 'anthropisés" et une pure Nature.
Ces êtres, s'ils ne créent pas de communauté, s'ils sont incapables de communiquer entre eux, s'apparentent donc malgré la lenteur de leur transformation, aux victimes d'un sort des dieux antiques ou d'une sorcellerie, condamnés à errer, aliénés de tout contact en ayant été aliénés de leur "nature humaine".
L'intrigue se focalise sur les humains autour d'un adolescent en cours de transformation ; et reste engoncée dans l'anthropocentrisme. Le "concept" n'a pas déjà été "exploité" par le cinéma US, parce qu'il est boîteux. Sans la logique de la science-fiction (éventuelles expérimentations génétiques), sans le style visuel du fantastique onirique (La belle et la bête), ni la provocation des séries B ou Z (Basket case 2 & 3), le film se rapproche, à la limite, du Cabal de Clive Barker - version française, moins prosaique, plus proche des films métaphores inconsistants comme Les Métamorphoses ou L'Ornithologue (portugais? Pire!).
Hélas, de son concept bâtard, le film n'explore pas amplement les conséquences pratiques, alors que quelques idées sont bonnes : le porte-clé à ultra-sons permettant de détecter les mutants, la leçon de vol de l'homme-oiseau (même si elle est filmée comme un film hollywoodien). Même sans créer de nouveauté en abattant les séparations de genres (il les alterne plutôt au fil des scènes), sa logique d'hybridation lui permet d'échapper à la nullité scénaristique des vrais films d'auteurs, ceux qui snobent l'histoire et la psychologie, ne racontent rien et remportent la palme à Cannes - Rosetta, Titane, les Weerasethakul.
Les relations humaines sont traitées comme un film indé US, du naturalisme à la Kelley Reichardt au "Running on empty" de Sidney Lumet. Les relations interspécifiques sont représentées comme un film hollywoodien - E.T.. Les répercussions politiques sont également évoquées ; le film aborde sa métaphore sous autant d'angles. On peut y voir bien sûr comme chez Barker une allusion à l'entrée dans une sexualité anormale (avant qu'elle passe ou non dans la norme), et comme chez Spielberg la rencontre avec l'Autre ; et encore le parcage des exilés (qu'ils soient ou non les habitants de la "jungle" de Calais ou d'ailleurs) comme le contrôle généralisé des humains et des autres espèces.
Le réalisateur se targue d'avoir insisté auprès des techniciens pour réaliser un maximum de trucages sur le plateau. Le film y gagne en réalisme, et peut revendiquer sa place dans la tradition des maquillages en caoutchouc mousse. Il a également décidé de braver les contraintes d'un tournage in situ, dans une forêt primaire, autre cachet d'authenticité dans une période où les effets numériques deviennent la voie facile et uniformisante, et où les films à petit budget ne sortent plus des plateaux (alors que les pires séries Z des années 70-80 bénéficiaient de généreux extérieurs). Hélas, hormis dans les scènes où les effets digitaux précisément, ont nécessité un storyboard, la mise en scène me paraît inexistante - j'aime pas la caméra à l'épaule tremblotante.
Une rareté dans le cinéma français, un film un minimum ambitieux, ce Règne n'est pas complètement réussi car il lui manque la touche d'inspiration ou de génie qui aurait pu en faire un classique. L'absence de sensibilité musicale du réalisateur (ce n'est vraiment pas l'un des beaux plagiats de Debussy par Williams qui accompagne la scène spielbergienne) ne me permet pas d'espérer une amélioration future.
Addendum (si si)
Ses modèles (Lumet, Spielberg) et son sous-texte (antispécisme, antiracisme...) donnent forme à une oeuvre consensuelle.
Il n'est pas question de métissage, si l'on considère cette notion comme discutable en biologie, où l'on ne reconnaît pas de races, et si on la trouve plus appropriée dans le champ culturel - or les créatures abstraites de ce "règne animal" n'ont apparemment pas constitué société, ou tribu, sans langage commun ni amorce de pratiques. Le film s'arrêtant comme trop d'autres avant lui, au début de l'histoire ("fin ouverte" - problème de durée, comme les adaptations de Dune - et d'imagination?), il n'examine pas la constitution progressive d'une société et des métissages culturels au travers de l'histoire, qui sur le temps long rejoint les mélanges biologiques (génétiques , épigénétiques, bactériologiques...). Le résultat, superficiel, n'explorant pas les ramifications théoriques, fictionnelles et morales de l'idée de départ, est timoré : le cliché de la quête de la mère/nature.
Alors peut-être le titre est-il ironique. Mais le résultat gentillet fleure la démarche à la mode, qui consiste comme le "pop art" autrefois, comme toutes les récupérations mainstream des oeuvres marginales, à neutraliser le "genre" en s'y adonnant avec des pincettes. Le réalisateur a comme pour se défendre, déclaré qu'il n'avait pas vu les "films de genre" sur le thème qu'il abordait ici : c'est somme toute hautain, et prétentieux (il pense le réinventer à partir de rien?).
Ce n'est donc pas ici que vous verrez mise en question la notion de zoophilie (qui n'a donc plus aucun sens si l'humain est un animal comme les autres, appelons plutôt ça intersexualité, hein miss Haraway?), ni les parasitismes et hybridations dégoutants explorés au long de la carrière de Cronenberg et Ridley Scott (on doit au moins reconnaître à ses dernières oeuvres le mérite de pousser la réflexion, Raised by wolves a fortiori).
Somme toute il vaudra mieux continuer à chercher du côté des USA pour trouver l'innovation et ses plus prompts émules (plutôt que de tardives créatures poulpiformes). Donc moins
https://www.senscritique.com/film/la_region_sauvage/21398128
et plus
https://imagecomics.com/comics/series/cull
https://www.senscritique.com/serie/scavengers_reign/48034502