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"Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience "...

Cette citation de René Char, est mise en exergue à deux reprises dans le film...

Tout d'abord dans la bouche de François (Romain Duris toujours aussi génial)... Un père, en conflit avec son fils de 16 ans Émile (Paul Kircher impressionnant) auquel il tente d'inculquer la résistance à l'ordre établi et l'ouverture à l'altérité dans un monde dystopique en pleine mutation...

Sans explication somme toute superflue, Thomas Caillet nous transporte donc dans une réalité où l'altérité se manifeste justement chez les êtres humains à travers des mutations génétiques qui les transforment en des êtres hybrides proches d'un animal aléatoire...

Mais ici, pas de docteur Frankenstein, ni de docteur Moreau de H.G. Wells (référence assumée) pour provoquer la création "divine"...

Cette mutation est un fait établi... Ces "bestioles", telles qu'elles sont appelés par les hommes dits "normaux", sont ostracisées et parquées dans des centres/prisons loin des regards malheureusement incapables de voir et encore moins d'accepter la différence... L'être humain et son racisme visceral...

François qui vit avec son fils lycéen connait bien cela car sa femme Lana est atteinte par ces mutations... Il ne peut se libérer de ses affects...

Pour rester près d'elle, son amour va le pousser à la suivre dans ce centre où elle sera soignée dans le sud de la France. Son fils qui lui connaît la crise de l'adolescence, l'accompagne.

Il va rapidement se rendre compte que, à travers un corps qui prend les caractéristiques du loup, l'étrange mutation le concerne également.

Commence alors pour lui, un voyage intérieur qui va le conduire à l'acceptation de l'autre.

Ce qui impressionne d'abord dans le film, c'est ce caractère décomplexé face à son sujet. Thomas Caillet appréhende son histoire de manière frontale. On n'est pas dans le blockbuster américain et on s'en fout car tout le côté visuel ainsi que la bande sonore sont très réussis.

Rarement film français aura montré ce culot.

Ici , ce qui intéresse le réalisateur, ce n'est pas de rivaliser avec les grosses machines hollywoodiennes à la coquille souvent vide.

Il cherche surtout à nous raconter une fable écolo et philosophique qui cite aussi bien René Char que Jean Racine ("Phèdre ") sans pour autant perdre le spectateur dans un récit trop intellectualisé. On pense à Kafka aussi...

Cinématographiquement, les références de Thomas Caillet sont Spielberg, le Shyamalan de la grande époque ("le Village" et surtout "Signes") mais aussi Cocteau par sa poésie et ses images par moments oniriques (l'envol de Fix).

A travers les relations difficiles entre François et Émile, comment ne pas penser à celles entre Ray (Tom Cruise ) et son fils Robbie dans "la guerre des mondes"?

Dans cette libre adaptation du roman de H.G. Wells (encore...), Ray, père absent et démissionnaire, se rachetait une conduite et reprenait, en fuyant des aliens "malades", son rôle de père.

Et Les échassiers, apparition nocturne lors de cette célébration de la Saint Jean... Ils rappellent furieusement les tripodes envahisseurs du film de Spielberg...

Si celui-ci évoquait ouvertement le traumatisme post 11 septembre, le film de Caillet aborde sans conteste, la société post COVID... Une société de l'individualisme qui n'en finit pas de se métamorphoser mais qui n'arrive pas à trouver son identité à l'instar d'Emile (son prénom évoque déjà le passé) qui se cherche en pleine crise de maturité. Sa mutation douloureuse sera mise en parallèle avec son empathie pour Fix, un mutant oiseau qui essaie de voler comme lui essaye de prendre son envol vers le monde adulte.

Ce récit initiatique entrepris sous la bienveillance du père va le mener sur la route de la prise de conscience de son nouveau statut et de sa nouvelle identité.... On est en pleine catharsis...

"Je est un autre" écrivait Rimbaud... Et si l'être humain était appelé à en devenir un autre ?

Finalement, le père perd un fils mais gagne son humanité... La dernière scène entre les deux est à ce titre bouleversante et illustre parfaitement le "Deviens qui tu es" nietzschéen...

Thomas Caillet nous livre avec "le règne animal" une œuvre pleine et riche qui, en dépit de quelques défauts mineurs (le personnage d'Adèle Exarchopoulos paraît un peu sacrifié entre autres...), montre que le cinéma français doit avoir l'ambition de ses sujets.

Un film qui va faire date dans le cinéma hexagonal... Sans aucun doute.

Gonzo78
8
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le 16 févr. 2024

Critique lue 13 fois

Gonzo78

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