"Le Repas" ne correspond pas vraiment au film typique de Mikio Naruse. Il a beau y avoir Ken Uehara et Setsuko Hara comme dans "Le Grondement de la montagne", je ne trouve pas que le mélodrame familial trouve ici un terreau fertile dans les atermoiements de cette femme mariée depuis 5 ans (un mariage non-arrangé, précision importante) dont le couple bat sévèrement de l'aile. Elle semble être la seule à en souffrir, si l'on constate le comportement du mari qui se contente de bosser et de rentrer le soir pour poser les pieds sous la table (enfin, s'assoir en tailleur ou en seiza sur un tatami pour être plus précis) et réclamer son repas. L'insatisfaction de Hara apparaît ainsi de manière aussi limpide que brutale, on ne voit pas ce qu'elle retire de cette vie si ce n'est l'argent ramené par Uehara qui permet leur subsistance à deux, mais quelle subsistance... Et l'équilibre sera malmené par l'arrivée de la nièce, jeune et fringante, avec qui le mâle flirte et va passer du temps en ville pendant que madame se tape cuisine, vaisselle, lessive et ménage. Un jour, pouf, elle décide de s'envoler.
Disons que pour la partie du portrait qui a trait à la description d'une femme malheureuse et déçue — un temps — de son sort, Naruse déploie son art de l'élégance et de la finesse, aucun doute là-dessus. En revanche, dès lors que s'engage le processus de pseudo-émancipation, avec dans un premier temps la fuite de ce carcan délétère et dans un second le retour au foyer à mi-parcours entre l'amertume (un tout petit peu) et la résignation heureuse (beaucoup), j'ai trouvé le film assez ennuyant, pas pénible (sauf le final) mais vraiment peu engageant et peu stimulant. Évidemment on est dans le Japon du début des années 50, il ne faut pas non plus s'attendre à une révolution sexuelle à caractère anarchiste... Mais quand même, de la part de Naruse, on est en droit d'attendre quelque chose de moins tiède et de plus fort en termes de construction de l'émotion. Les ingrédients sont pourtant là, à travers le quotidien passable, le couple en péril, la femme oubliée, mais la sauce ne prend pas, et ce n'est pas nécessairement une question de trop grande discrétion dans le style ici. J'aurais aimé davantage de pessimisme dans l'amertume du portrait féminin que ce joyeux happy end avec retour à la maison.
Pour mémo, on passe au début de cette tirade de Setsuko Hara:
"Mariée à Tokyo il y a cinq ans contre l’avis de ma famille, installée à Osaka depuis trois ans suite à la mutation de mon mari, mes attentes et mes rêves de jeune mariée, où sont-ils passés ? Mon mari est attablé, j’apporte la soupière. Hier, aujourd’hui et demain, je vis les mêmes matins et les mêmes soirs, 365 jours par an. Entre cuisine et salon, ma vie de femme se consumera-t-elle en silence et sans espoir ?"
À, pour le discours final :
"A côté de moi, il y a mon mari. Il somnole. Son visage est ordinaire. La route du quotidien l’épuise. Il fait une halte. Il reprend son souffle pour reprendre la route. Je suis à ses côtés. Marcher côte à côte dans la vie à la recherche du bonheur, c’est peut-être cela mon vrai bonheur. Le bonheur, le bonheur des femmes ne serait-ce pas cela ?"